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aussi aisément que l’on peut aller de Lyon à Marseille en suivant le cours du Rhône.

Les grandes vallées où coulent la Morava et la Wardar et qui se prolongent dans toute la largeur de la Turquie, sont pourtant connues depuis longtemps. Mais telle a été l’insouciance de la Turquie de l’Autriche et de l’Allemagne pour la géographie de ces pays qu’il n’est venu à l’idée de personne pendant bien des années, que les tranchées naturelles créées par les deux rivières pouvaient être utilisées, et qu’il y avait urgence, à détruire la fausse croyance d’une chaine de montagnes centrales non interrompue de la Mer-Noire à l’Adriatique. Dès que la lumière fut faite, dès que l’on fut persuadé que les vallées fertilisées par la Morava et la Wardar livraient au génie de l’homme une série de plaines sans obstacles sérieux, l’établissement d’un chemin de fer rendant encore plus prompte les communications entre l’Europe, l’Égypte et les Indes s’imposa dès lors à tous les esprits amis du progrès de la Serbie.

L’un de nos collaborateurs, M. le comte de Castellane, a fait, à cette occasion, un travail des plus instructifs sur les diverses routes suivies actuellement, par les malles françaises et anglaises ou quatre fois par an, aller et retour, nous relient avec l’extrême Orient. Un résumé de cette patiente étude prouve, avec chiffres à l’appui qu’en allant d’Alexandrie à Londres par Salonique, Belgrade, Vienne et Calais, on gagne quarante-sept heures sur le parcours par Marseille et neuf heures sur celui de Brindisi. La distance pourra être encore diminuée d’environ 300 kilomètres quand les chemins de fer actuellement en construction ou en projet permettront d’aller directement de Belgrade à Munich sans passer par Vienne[1]. Les roues d’une locomotive transportant avec une rapidité foudroyante la malle des Indes ne laissent pas évidemment la fortune derrière elles, mais il est avéré qu’elles contribuent à enrichir les parcs qu’elles- traversent. Nous n’en voulons pour preuves, que le regret ressenti par la ville de Marseille en se voyant enlever son transit à la suite du percement du Mont-Cenis.

Mais n’est-ce que cet avantage, en somme secondaire, qui pousse à Serbie à se couvrir de voies ferrées, comme elle se prépare à le faire ? Poser la question, c’est la résoudre. Il lui était absolument impossible de rester dans l’ornière des quelques rares routes ouvertes au commencement de ce siècle par son premier prince Milosch, quand sur ses frontières du Nord et du Midi se trouvaient déjà deux têtes de ligne, l’une débouchant en Occident par Baziasch et Vienne, l’autre ouvrant sur l’Orient par Mitrovitza et Salonique.

  1. La vitesse des bateaux à vapeur a été calculée en raison de 18 kilom. 520 par heure ou 10 nœuds marins de 1,852 mètres chacun. La vitesse de la malle est de 50 kilomètres à l’heure.