Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demande trente chambres avec trente jeunes filles pour ses trente braves ; pour toi, il te veut avoir dans la blanche tour, afin de t’y donner ses caresses, moi vivant ! Voilà pourquoi je gémis et je verse des pleurs. » Mais la belle Ikonia lui dit : « mon père, knèze Miloutine ! fais nettoyer les chambres et préparer un souper splendide ; ne t’inquiète point des jeunes filles, je me trouverai trente compagnes et pour moi je serai dans la blanche tour. »

« Que fait Ikonia ? Elle a un frère d’élection parmi les haïdouks, son probalime, Grouïtza Novakovitch. Elle lui écrit : « Frère, choisis dans ta bande trente jeunes compagnons qui soient beaux comme des vierges, et viens avec eux vers la plaine de Grahovo, dans notre blanche maison. » Grouïtza répond à l’appel de sa sœur ; les trente haïdouks, aussi beaux que des vierges, vêtus de fines chemises sous leurs tuniques de soie et d’or, sont conduits dans les trente chambres. Grouïtza ressemble à la fille d’un knèze et Ikonia lui donne son costume : « Frères, dit le jeune haïdouk à ses compagnons, quand mon fusil retentira dans la tour, c’est que j’aurai tué le pacha ; que chacun de vous alors tue son homme. » On entend résonner le pavé de marbre, c’est le pacha de Zagosié qui arrive. Grouïtza le reçoit dans la tour, baise sa main, son habit, lui verse le vin et l’eau-de-vie comme une esclave empressée ; puis, quand le pacha, étendu sur les coussins, l’appelle à ses côtés, le jeune haïdouk saisissant sa barbe blanche : « Tyran débauché, dit-il, je ne suis pas la belle Ikonia : je suis Grouïtza. » En même temps, il le poignarde et courant à la fenêtre de la tour, il tire deux coups de fusil pour avertir ses compagnons. C’était le signal de l’exécution terrible : dans les trente chambres du knèze, trente têtes tombèrent à la fois.

«… Les haïdouks ôtèrent leurs vêtemens de filles et remirent leurs habits, puis s’assirent à une table servie et mangèrent un souper splendide ; mais voici venir le knèze Miloutine. portant six cents ducats, qu’il remet à maître Grouïtza : « Prends, mon fils, il y en a moitié pour toi, moitié pour tes compagnons, vous qui m’avez assisté dans l’extrémité où j’étais. » Après lui vient la belle Ikonia portant trente chemises dont elle fait présent aux trente haïdouks : quant à Grouïtza, son frère, elle lui donne des habits dorés et une aigrette toute d’or. Ensuite, elle les congédie et les renvoie vers son frère d’affection, Starina Novak, pour lequel elle avait préparé un cadeau décent ducats, envoyant en outre à son oncle Radivoï le sabre du knèze son père : « Voici, frère, dit-elle, des cadeaux pour m’avoir assistée dans cette calamité. » Ensuite, elle échange avec Grouïtza un baiser au visage. Grouïtza part vers le mont Remania, et la vierge rentre dans la blanche tour. »

Si c’est dans les villages et non dans les villes que nous nous sommes plu tout d’abord à étudier les mœurs des Serbes, c’est