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mirent fin à l’incertitude des contribuables et à l’arbitraire des juges.

Ce gouvernement, en apparence si sage à l’inférieur, et si habile à l’extérieur, s’écroula pourtant sous une réprobation générale. Alexandre fut accusé d’avoir donné les meilleures places de la principauté à sa famille et de s’être soumis, entièrement à l’influence autrichienne. Comme le prince ne réunissait plus la skouptchina, quelques patriotes conspirèrent contre lui. Il le sut, et un châtiment rigoureux fut appliqué aux conspirateurs. Mais, le mécontentement devint universel, et M. Garachanine dut être rappelé. Le prince se vit dans l’obligation de convoquer la skouptchina qui, selon une nouvelle loi électorale, rendait tous les Serbes électeurs à l’âge de vingt-cinq ans et éligibles à trente.

Le 30 novembre 1858, l’assemblée se réunit, et son premier acte fut de formuler une sévère accusation contre Alexandre Kara-Georgevitch. En vain, le prince protesta. Le 23 décembre, sa déchéance solennelle fut prononcée, et la skouptchina proclama prince de Serbie le prince proscrit, le vieux Milosch, avec l’hérédité accordée autrefois par la Sublime-Porte à ses descendans. L’ancien politique de 1815, le dictateur tombé en 1839, rentra dans sa patrie en 1858, âgé de soixante-dix-huit ans.

C’est, on le suppose bien, ce que, dans son exil, à Vienne, à Bucharest, attendait anxieux, impatient, le vieux lion. Son ambition, disait-il, était de jouer dans la Turquie d’Europe le rôle que jouait alors Mehemet-Ali dans la Turquie d’Asie. Que n’y avait-il songé plus tôt ! Pour rassurer ceux des Serbes qui avaient gardé le souvenir de sa rapacité, de sa violence et de la main de fer sous laquelle il les courba, Milosch, en entrant à Belgrade, prononça ces étranges paroles : « Je n’ai plus de frères vivans à enrichir… Dieu et ma nation m’ont comblé de biens de toute espèce. Je n’ai donc plus besoin de me mettre en peine le moins du monde pour moi et ma famille. » Ce qui voulait, simplement dire : Ne craignez pas de spoliations ; je suis trop riche pour en commettre de nouvelles. L’aveu n’est-il pas charmant ? Heureusement pour lui et pour la Serbie, son règne ne dura que deux années. Il mourut à l’âge de quatre-vingts ans, le 26 septembre 1860. Loin d’avoir été corrigé par l’exil, Milosch était resté le tyran que nous connaissons. Peut-être eût-il été expulsé une seconde fois de sa principauté sans l’amour que le peuple serbe professait pour son héritier, le prince Michel, qui avait employé les années d’exil à parcourir l’Europe, à étudier la politique et les lois, et dont le règne s’ouvrait plein de promesses. Michel Obrenovitch inaugura une série de réformes et développa les ressources de son pays ; mais, il n’eut pas le temps de jouir du succès de son œuvre, il tomba sous les coups de lâches