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demande à Milosch s’il n’est pas temps de faire cesser pour ses compatriotes une telle guerre et s’il est disposé à l’aider à faire œuvre d’apaisement. Milosch. refoulant ses scrupules, jugeant tout de suite l’avantage qu’il peut retirer pour la malheureuse Serbie d’à cette offre inespérée, accepte, et, qui plus est, accepte avec une apparence de reconnaissance qui trompe jusqu’à ses amis. Malheur à ceux-ci s’ils ne comprennent pas le double rôle qu’il va jouer ! L’exil, la mort même, les frappent. Milosch est tellement l’affidé complaisant des Turcs, il remplit avec un tel succès son rôle de conciliateur, que le pacha de Belgrade, le cruel Soliman, en fait son fils d’adoption. C’est Milosch que Soliman envoie un jour à Ternava pour étouffer une insurrection partielle, étincelle d’un fou qui couve et qui est prêt à éclater, mais qu’il est prudent d’étouffer à tout prix, car l’heure de la conflagration générale n’a pas encore sonné.

Une série de ruses habilement conduites s’établit bientôt entre Milosch et le pacha. Le tigre joue avec le renard. Soliman, sons une apparence de bonhomie et renouvelant à chaque instant, sans les tenir, ses promesses de ne plus sévir contre les Serbes, n’en continue pas moins ses sanglantes exécutions. Une nuit de Noël, à Belgrade, il fait décapiter cent quinze Serbes aux quatre portes de la ville ; trente-six sont empalés vivans ; trois cents autres périssent dans divers districts.

Un des plus anciens voïvodes serbes, lequel, exactement comme Milosch, s’était prêté à l’œuvre de pacification, a la tête tranchée sur un simple soupçon. « ton tour va bientôt venir, » murmure à l’oreille de Milosch l’un des bourreaux quelques heures après l’exécution. Milosch répond : « Il y a longtemps que ma tête ne m’appartient plus. »

Le futur libérateur de la Serbie s’était adroitement arrangé de façon à être le débiteur de Soliman. Sentant de plus en plus sa vie en danger, persuadé que, si elle ne lui était pas ôtée, c’était par la crainte qu’avait son créancier de ne pas être payé, Milosch résolut de faire cesser une situation qui pouvait en se prolongeant rendre inutile sa douloureuse duplicité. « Je veux acquitter ma dette le plus tôt possible, dit-il au terrible pacha, mais pour cela, je suis dans l’obligation d’aller moi-même dans mon village pour y chercher de l’argent. Pour me procurer la somme que je t’ai promise en échange des prisonniers serbes que tu m’as vendus et livrés, il me faudra vendre beaucoup de bœufs et de porcs. Moi seul je puis faire ce marché, laisse-moi donc partir. »

L’amour du gain l’emporta chez Soliman sur ses instincts de cruauté. Il lâcha sa proie sans se douter qu’il allait perdre avec