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Autriche et en Russie, il entra secrètement en Serbie. Il y mourut assassiné, lui, le libérateur des Serbes !

Les Turcs, fer et torches à la main, pénètrent de nouveau en Serbie en 1813. Des milliers de Serbes regagnent leurs forêts pour y chercher un asile ; d’autres traversent rapidement Belgrade pour y passer la Save et se réfugier en Autriche. Poursuivis avec acharnement, beaucoup périssent par le glaive ou roulent noyés dans les eaux du fleuve. Ces effroyables tueries continuent jusqu’au jour où un soldat patriote dont nous avons déjà parlé, Milosch Obrenovitch, les fit cesser en s’interposant entre vainqueurs et vaincus.

Milosch était né en 1780, à Dobrinja, petit village serbe coquettement placé à mi-côte des montagnes du sud, au bord d’un torrent qui se jette dans la Morava. Son père, Tercha ou Théodore, servait comme valet de ferme. Milosch avait deux frères qui, comme lui, gagnaient leur vie en gardant les troupeaux des riches propriétaires des environs. Dès l’année 1804, Milosch abandonne son humble profession, et va courageusement prendre part à la lutte que les siens soutiennent avec fureur contre les Turcs. En 1811, il est fait hospodar. En 1813, au moment où Kara-George déserte, nous le retrouvons sur le bord de la Save, entre Belgrade et Schabatz, refusant de suivre ceux qui fuyaient devant les Turcs. L’hospodar Jacob Nenadovitch, l’un des héros de la guerre de l’indépendance, veut l’entraîner avec lui dans sa fuite. « Écoute, frère, lui dit Milosch, je ne quitterai pas ma terre natale, car je ne saurais où aller. M’enfuirai-je donc en un pays étranger pour y chercher un refuge pendant que les Turcs emmèneront en esclavage ma vieille mère, ma femme, mes enfans, et les vendront comme des moutons ? Non, Dieu m’en garde ! Je retourne dans mon district, et j’accepte d’avance le sort réservé aux autres, quel qu’il soit ! .. Combien de mes braves frères ont péri sous mes yeux ! N’est-il pas juste que je meure avec eux[1] ? »

C’est là le langage d’un héros : mais nous allons voir l’ex-pâtre sous un aspect non moins élevé. Milosch regagne son village pour y organiser la résistance ; il s’y trouve seul, car tout autour de lui les Serbes sont occupés à se défendre individuellement contre les Turcs, qui incendient, pillent, outragent les femmes et égorgent les enfans. Si Milosch n’a pas auprès de lui une famille à préserver, c’est qu’il a eu la prévoyance de faire cacher sa femme et ses fils dans un couvent où il les sait en sûreté.

Un jour, Kurchid-Pacha, qui commandait aux soldats musulmans,

  1. Milosch Obrénovitch, parle prince Michel ; Paris, 1850.