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contribué au salut du pays, fut malheureusement troublée par l’envie de certains dignitaires serbes, jaloux de la gloire et de la puissance de Kara-George, avec lequel ils avaient toujours combattu. Ce dernier, néanmoins, fut assez habile pour déjouer les projets criminels de ses rivaux, et il eut même l’adresse de tirer parti de cette circonstance pour se faire donner par le peuple reconnaissant et qui l’aimait le titre de prince de Serbie. Rien n’est durable. Lorsque le nouveau prince était le plus occupé à donner des lois gouvernementales à la naissante principauté, un traité imprévu, celui de Bucharest, que les Russes firent à cette époque avec les Turcs, mit de nouveau la Serbie à deux doigts de sa perte. Ce traité, qui allait laisser les Russes libres de se consacrer entièrement à la défense de leur territoire, menacé par la plus belle armée que jamais Napoléon ait mise sur pied, allait permettre au sultan Sélim de recommencer la guerre contre le vaillant petit peuple qui venait de lui infliger des pertes cruelles en hommes et en territoire.

Comment dire maintenant qu’en cette occurrence suprême, à l’heure du danger, Kara-George abandonna furtivement Belgrade et la Serbie ? Rien n’est plus triste, rien n’est plus vrai, et ce qu’il y a d’étrange en tout ceci, c’est que l’on n’a jamais su la véritable cause de cet inqualifiable abandon. Mille versions ont voulu expliquer le fait, mais ces versions reposent sur des suppositions difficiles à préciser, et pour ce motif nous nous abstiendrons de les reproduire. Nous croyons, après avoir lu tout ce qui a été écrit sur la fuite de Kara-George, qu’il partit à la suite d’une de ces grandes fureurs auxquelles il se livrait aisément, croyant la Serbie à jamais perdue, et surtout désespéré d’avoir en vain sollicité l’alliance de l’Autriche, de la France et de la Russie. Il s’était vu refuser jusqu’à la neutralité bienveillante de cette dernière puissance. Kara-George supplia un jour Napoléon de prendre la faible principauté sous sa protection. Reçut-il une réponse du tout-puissant empereur ? Nul ne le sait, mais il est aisé de s’imaginer ce qu’elle eût été en lisant ce que ce même empereur écrivit de son camp de Posen à l’ennemi des Serbes, au sultan Sélim, à la date du 1er décembre 1807 : « La Prusse, disait Napoléon, qui s’était liguée avec la Russie, a disparu. J’ai détruit ses armées et je suis maître de ses places fortes. Mes armées sont sur la Vistule et Varsovie est en mon pouvoir. La Pologne prussienne et russe se lève pour reconquérir son indépendance… C’est le moment de reconquérir la tienne. N’accorde pas aux Serbes les concessions qu’ils le demandent les armes à la main. »

Pauvre Kara-George ! On verra plus loin qu’après avoir erré en