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aller passer la saison rigoureuse chez des amis secrets, les membres de ce groupe doivent être revenus au printemps dans le lieu ordinaire de leur résidence[1]. »

Chaque fraction d’haïdouks avait sa forêt à elle. Les membres d’un groupe se rendaient en nombre ou individuellement dans des contrées parfois très éloignées, là où un village opprimé ou une vengeance à tirer d’une injure réclamait leur présence. Ainsi, quoique la ville de Belgrade ne fût plus, grâce à l’incurie turque, qu’un monceau de ruines où les musulmans seuls se montraient, le peuple serbe, grâce à ses vaillans haïdouks, entretenait dans les hautes forêts, dans les montagnes, au fond des vallées solitaires, à l’ombre des monastères, un sentiment opiniâtre de révolte uni au souvenir de ses anciens héros et des années glorieuses de la patrie. C’est pour cela que ni la barbarie ottomane, ni d’horribles misères, ne purent altérer sa foi ardente dans un meilleur avenir. On l’a dit avec raison : sans cette foi précieuse, Kara-George, que nous allons voir apparaître, et Milosch, dont un des descendans règne aujourd’hui encore en Serbie, auraient pu être des chefs de bande, mais non des chefs de nations. Un jour vint pourtant où toutes les colères, toutes les fureurs des opprimés éclatèrent, écrasant sous une avalanche de haines les lâches qui avaient ulcéré tant de nobles cœurs. La Serbie va enfin se relever de sa défaite de Kossovo, comme tant d’autres états se sont relevés des leurs ; elle aura désormais cette solidité que lui a valu son unité nationale, religieuse et morale, cette force qui s’inspire de l’espoir d’un avenir meilleur, et qui lui fera obtenir, quand s’élaborera le traité de Berlin de 1878, avec la reconnaissance solennelle de son indépendance, une augmentation de territoire.

C’est en 1804 qu’éclata, au printemps, la grande révolution. Tout d’abord, il est bon de dire que des Serbes émigrés en Autriche avaient déjà essayé leurs forces en combattant les Turcs sous le drapeau des Habsbourg. Des laboureurs, des pâtres, s’unissant aux vaillans haïdouks, étaient entrés avec les Autrichiens à Belgrade en 1789. Comme cela arrive souvent, l’ingratitude fut le prix du sang versé : le traité signé à Sistova le 4 août 1791 rétablit le statu quo ante bellum, c’est-à-dire que Belgrade et ce qui avait été conquis de la Serbie par les alliés fut remis aux mains des Turcs.

Le sultan Sélim voulut, il est vrai, à cette époque détruire le vieux système oppressif ottoman et donner aux territoires placés sous sa domination des lois plus libérales. On sait qu’il y échoua d’une façon complète. Malgré ses ordres et une bonne volonté dont l’histoire doit lui tenir compte, les troupes turques continuèrent à

  1. Slaves du Sud, par Iankovitch et Grouïtch ; Paris, 1873.