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Quant aux peuples dont les aspirations légitimes se sont trouvées jusqu’à un certain point réalisées, nous les voyons se constituer chaque jour à leur manière ; les uns, en se donnant le luxe d’une royauté, les autres, moins jeunes, en réclamant de nous de sages conseils et des capitaux. Encore quelques années et la prospérité de cet Orient Nouveau, comme on l’a justement appelé, vengera la diplomatie de 1878 des reproches qui lui ont été trop vite adressés.

Ces développemens de nationalités récemment formées, les destinées de la Grèce, de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Serbie, l’avenir d’autres principautés ou royaumes auxquels la France est plus ou moins directement intéressée, méritent d’être suivis avec une sympathique attention. La grande part que la France a prise aux conférences de Berlin nous en fait une loi.

Dès aujourd’hui, nous nous occuperons de la Serbie. Son indépendance, reconnue par le traité de 1878, a été moins la consécration officielle d’une situation depuis longtemps acquise qu’un juste hommage rendu à son peuple, petit en nombre, grand en héroïsme. Loin, en effet, d’amoindrir le territoire des Serbes, le traité de Berlin l’a considérablement agrandi. Il y a plus. Les garanties de toutes sortes qu’offre la principauté lui vaudront bientôt l’avantage d’être sillonnée par des chemins de fer dont elle était tout à fait dépourvue, chemins de fer qui, par l’Adriatique, la relieront à l’Orient, et, par l’Autriche-Hongrie, aux réseaux des lignes européennes. Des hommes éclairés, toujours à l’affût d’améliorations heureuses et de projets utiles, pensent même que l’ouverture de ces nouvelles voies doit encore raccourcir de quelques jours le trajet déjà si rapide de la malle des Indes.

Il y a dans l’ensemble de ces combinaisons futures, unies à des faits depuis longtemps acquis, la matière d’une étude qu’il nous semble intéressant et utile d’entreprendre ici.


I

Les Serbes, qui, au VIIe siècle, quittèrent les Carpathes orientales et la Russie-Rouge pour venir camper dans les régions occupées encore par eux aujourd’hui, ne possédaient point de frontières beaucoup plus étendues que celles de leur principauté actuelle. À cette époque, leur territoire avait pour limites : au nord, la Save et le Danube ; à l’est, la Morava, l’Ibar et la ville de Novi-Bazar ; au sud, la ville de Skadar et je Boljaria ; à l’ouest, les montagnes s’étendant entre l’embouchure de la Cettina et les Urbas et celles qui séparent le bassin des Urbas de celui de la Bosna. Ils étaient du