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Dans le Nord, il n’en est pas de même. La question religieuse, à cette même date, comme auparavant, comme depuis, y domine toutes les autres dans l’ordre intellectuel. Elle se traduit et s’impose par ce grand mouvement de la réformation, qui agite et préoccupe toutes les consciences. L’homme septentrional n’avait point la complaisante et tolérante et sceptique indifférence de l’Italie en matière religieuse ; il ne pouvait l’avoir, en raison même du génie réfléchi, pieux, mystique même, qui est particulier à l’Allemagne. Hardi jusqu’à l’audace, jusqu’à la révolte en ces questions de réforme, il restait cependant sous le poids de cette terreur et en même temps de cet amour du surnaturel, qui, au moyen âge, avait écrasé et comme annihilé l’individu moral. Luther, exprimant l’état des esprits autour de lui, peut protester violemment contre les dogmes catholiques, contre les légendes divines ; mais sa raison abdique toute indépendance dès qu’il s’agit des légendes inférieures, dès qu’on parle du diable.

Le diable est aux XIVe et XVe siècles le véritable maître des intelligences. La crainte du diable les domine plus sûrement que la crainte de Dieu. La légende d’amour et de bonté est bien pauvre en comparaison de la légende cruelle où sont recueillis tous les mauvais tours que Satan joue à l’espèce humaine. Ouvrez les œuvres de Luther, lisez sa vie, vous serez surpris du rôle important que le diable y a pris. Satan commente avec lui et contre lui la Bible et les conciles ; la discussion s’animant parfois à ce point que Luther, un jour, à bout d’argumens, lui jette son écritoire à la figure. On raconte à sa table, par centaines, des histoires de démons, de vampires, de sorciers, de possédés, de succubes et d’incubes. Il voit le diable partout, il le reconnaît dans les mouches qui se posent sur sa Bible ou sur son nez, il le retrouve même à l’intérieur des noisettes. A maintes reprises, il affirme l’existence et la puissance de cet ennemi du genre humain. « Le 15 janvier 1539, on parla de la grande sécurité dont on jouissait dans ces derniers temps. Et le docteur Martin Luther dit : « Ah ! l’on ne doit pas se regarder comme si tranquille, car nous avons un grand nombre d’ennemis et d’antagonistes déchaînés contre nous ; ce sont les diables, dont la multitude est telle qu’il n’y a pas moyen de les compter ; et ce ne sont pas seulement des diables qui sont enchaînés dans l’enfer, mais des diables qui sont à la cour et près des princes et qui depuis très longtemps sont bien habiles ; ils ont une pratique et une expérience de cinq mille ans. Satan a mis sans relâche tout son pouvoir en œuvre pour tenter et tromper Adam, Mathusalem, Enoch, Noé, Abraham, David, Salomon, les prophètes, les apôtres, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même et tous les fidèles. »

Ailleurs, après maints récits de meurtres, de suicides, d’actes de