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cerveau de l’artiste. C’est cette réalité imaginaire, si j’ose associer ces deux mots, qu’il voulait fixer en lui conservant toute sa puissance de vie, de mouvement, de relief et de couleur. Il avait eu pour son compte cette apparition vraiment apocalyptique ; il l’a retracée telle qu’elle s’est présentée à lui.

Mais il a fait quelque chose de plus merveilleux encore ; il a, les yeux ouverts, et bien éveillé cette fois, refait l’Apocalypse de saint Jean ; Ici, sans insister sur les autres dessins de Dürer, et renvoyant le lecteur au livre de M. Ephrussi, nous laissons ses peintures pour jeter un regard sur ses bois.


III

La suite des quinze pièces de l’Apocalypse est la première en date parmi les diverses séries de gravures sur bois « exécutées » par Albert Dürer. Il faut bien s’entendre sur le sens du mot. On veut donc dire par là que ces gravures furent taillées dans le bois sur ou d’après les dessins du maître par des praticiens spéciaux, désignés sous les appellations de Formschneider et de Figurschneider. Ces deux noms établissaient une sorte de hiérarchie entre ceux de ces artistes secondaires qui savaient assez dessiner pour qu’on leur confiât des figures à graver et ceux qui ne pouvaient s’élever au-dessus de l’ornement proprement dit. La question de savoir si Albert Dürer a lui-même gravé en bois quelques-unes de ses pièces a été fort controversée. La plupart des critiques, et Bartsch à leur tête, l’ont résolue négativement. « Si l’on fait réflexion, dit Bartsch, au nombre de tableaux qu’Albert Dürer a peints et qui sont généralement d’un fini précieux qui exige un long travail ; si l’on considère le nombre non moins grand des estampes qu’il a gravées d’un burin aussi délicat que soigné ; si l’on sait combien il a laissé de dessins faits de sa propre main ; enfin si l’on calcule combien de temps il a employé pour composer ses ouvrages littéraires, et combien il en a dû consommer pour faire ses voyages, on ne pourra croire qu’il lui soit resté assez de loisir pour graver le nombre prodigieux de tailles de bois qui portent son nom, d’autant plus que la gravure en bois est d’un travail très lent, qu’il est presque purement mécanique et, par conséquent, incompatible avec la fougue du génie, le talent sublime et les occupations nobles d’un maître tel que l’a été Albert Dürer. »

L’argumentation contraire s’appuie sur l’inégalité des planches pour en conclure que les plus belles sont de la main de l’artiste lui-même, entre autres l’admirable frontispice de l’Apocalypse représentant la Vierge et saint Jean, un chef-d’œuvre d’exécution. Je crois qu’il faut se ranger à l’opinion de Heller, soutenue également par M. Ambroise