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sur une autre feuille, nous trouvons l’étude du paysage qu’il a placé dans son Saint Eustache. Le château formidable s’enlève au-dessus de l’horizon lumineux et rose dans une éclaircie de nuages. Un vol d’hirondelles tournoie vers les cimes. La troisième, la plus touchante peut-être, nous montre la vie des champs prise sur le fait. Plus de montagnes sinistres, plus de forts altiers ; des chaumières, de douces collines chargées de petites futaies descendent jusqu’à la plaine. C’est le moment de la fenaison : les charrettes circulent dans l’étroit sentier ; les paysans entassent le foin en meules ; on assiste à la vie rurale, active, paisible, en un cadre aimable qui s’étend de proche en proche jusqu’à l’extrême horizon toujours doux, arrêtant le regard çà et là sur quelque chaume, sur quelque toit d’église au clocher svelte.

Toutes nos aquarelles du Louvre sont faites sur nature. Pour compléter, autant que cela m’est possible, les renseignemens que nous donnons au lecteur sur ce genre de dessins, je dois faire mention d’une composition des plus singulières exécutée d’après ce procédé. Elle fait partie de la collection d’Ambras à Vienne. M. Charles Blanc l’a décrite ainsi : « On y découvre une immense nappe d’eau que borde un terrain plat où s’élèvent quelques maisons. Sur le milieu de la nappe d’eau pèse un gros nuage qui verse des torrens de pluie. A droite et à gauche, descendent d’autres vapeurs. » Albert Dürer a écrit lui-même en dessous de ce dessin : « L’an 1525, la veille de la Pentecôte, durant la nuit du jeudi au vendredi, j’eus cette vision dans mon sommeil. Quelle quantité d’eau il tombait du ciel ! Et cette eau frappait la terre à environ quatre milles de moi, avec une telle horreur, un tel bruit et de tels rejaillissemens ! .. Tout le pays fut noyé, ce qui me causa une si grande épouvante que je m’éveillai ; mais je me rendormis… Alors le reste d’eau tomba ; elle était presque aussi abondante ; une partie en tombait au loin et une partie plus près. Elle semblait venir de si haut que, dans mon idée, elle mettait beaucoup de temps à choir. Mais comme l’inondation approchait de moi, la pluie devint si rapide et si retentissante que la peur me saisit et je m’éveillai. Tout mon corps tremblait, et je fus longtemps sans pouvoir me remettre. Mais le matin quand je me levai, je peignis ici ce que j’avais vu. Que Dieu arrange tout pour le mieux ! »

Cette hâte à fixer par le dessin le souvenir d’une simple vision explique le caractère de réalité, le relief pittoresque que toute composition prenait, même à travers le chaos du rêve, dans le