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ne croit pas à la corruption native de l’homme ; il croit, au contraire, à son innocence originelle, et c’est sur elle qu’il fonde tout son système. Cependant il se rapproche de Rollin par ses tendances spiritualistes et par son déisme ardent. Émile n’apprendra pas le catéchisme ; on ne lui parlera même pas de Dieu, ni de religion avant seize ou dix-huit ans ; on attendra que « son entendement puisse le concevoir, » mais c’est dans l’intérêt même de la foi que Rousseau retarde ainsi le moment où son élève, placé face à face avec l’idée de la divinité, pourra la saisir, sans le secours de son imagination, par la seule force de son esprit.

Condillac n’attachait pas moins d’importance à l’enseignement religieux ; le Catéchisme de l’abbé Fleury, l’Abrégé de l’Ancien et du Nouveau-Testament et le Petit-Carême de Massillon figurent dans le Cours d’études au nombre des livres où le jeune prince de Parme devra se familiariser avec le dogme et l’esprit chrétiens. Ce n’est pas qu’il veuille faire de son élève un dévot « occupé de petites pratiques ; » tout au contraire, il a soin de le mettre en garde contre le danger « de vivre dans une cour comme dans un cloître, » entouré de moines et de prêtres ayant quitté, les uns leurs cellules, les autres le service des autels. Seulement il estimait qu’un prince doit être pieux, d’une piété éclairée, afin de protéger l’église, tout en sachant au besoin lui résister. Enfin, il n’est pas jusqu’à Diderot[1] qui ne fasse une part à la religion dans son plan d’une université russe. Que dis-je ? il la place au seuil même de son cours d’études, à côté des mathématiques et au nombre des connaissances les plus utiles à l’homme. Tant il est vrai que les esprits les plus aventureux étaient encore éloignés de la conception d’un enseignement exclusivement laïque, comme on dirait aujourd’hui. Diderot n’aimait pas les prêtres assurément ; il en voulait « le moins possible, » et l’un de ses griefs contre l’université, c’était qu’elle en produisait beaucoup trop. Cependant il n’allait pas dans sa haine du gothique jusqu’à la proscription de l’idée et du nom même de Dieu.

La révolution fut plus hardie ; sans déclarer positivement la guerre à Dieu, elle le bannit des écoles et en remplaça le culte par celui de la constitution. C’était substituer une base bien fragile et bien étroite à des fondemens éprouvés. L’évangile avait au moins pour lui sa longue, possession d’état ; le nouveau Credo manquait au contraire du prestige qui s’attache aux vieilles choses. Il était encore trop frais émoulu et, partant, controversé, il n’imposait pas. De là le peu de succès du cours de législation. Le directoire eut beau faire ; il ne parvint jamais à triompher de l’opposition que

  1. Voyez, dans la Revue du 1er novembre 1879, la belle étude de M. Caro sur Diderot pédagogue.