Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le droit de répondre : « Je représente l’instinct national, le bon sens. » C’était le système de M. Thiers, après comme avant l’acte du 19 janvier 1867 ; c’était encore sa pensée lorsque enfin on se décidait, après bien des tergiversations et des incidens confus, à une sorte de révolution constitutionnelle, lorsqu’on arrivait à ce ministère du 2 janvier 1870, présidé par M. Emile Ollivier, qui se croyait un autre Benjamin Constant chargé de négocier un nouvel acte additionnel. M. Thiers pouvait certes passer pour n’avoir point été étranger à cette transformation ; il y avait concouru de sa parole, par son habile et puissante campagne depuis 1863, et maintenant que tout semblait être accordé, qu’on allait avoir une constitution nouvelle avec toutes les garanties parlementaires, il n’hésitait pas à reconnaître qu’un grand pas venait d’être fait. Plus d’une fois il avait encouragé M. Emile Ollivier dans son rôle de négociateur mystérieux auprès de l’empereur, dans son ambition naïvement avouée d’être le sauveur de l’empire par la liberté ; il appuyait encore le premier ministère du 2 janvier à son avènement. Il ne laissait pas pourtant d’être inquiet sur le caractère d’une révolution qui s’inaugurait au milieu d’une étrange confusion, qui lui paraissait conduite par des mains bien présomptueuses, et il ne déguisait plus ses inquiétudes le jour où M. Emile Ollivier, comme pour trancher d’un coup les difficultés qu’il rencontrait, tirait du fourreau l’arme césarienne, — le plébiscite !

A parler sans détour, M. Thiers croyait-il au succès de cette expérience, de cette transformation libérale de l’empire ? Au fond, il en doutait encore. Il avait de la peine à croire qu’un régime fait par la dictature, pour la dictature, façonné par dix-huit années d’autocratie, pût se plier aux conditions parlementaires. Il craignait qu’un jour ou l’autre l’empire ne trouvât de trop faciles prétextes de réaction dans les agitations révolutionnaires qui commençaient à se produire, ou qu’il ne se laissât aller à chercher dans quelque aventure de guerre un moyen de ressaisir l’omnipotence qui lui échappait. Le ministère de M. Emile Ollivier ne le rassurait que médiocrement. Il doutait toujours ; il n’avait pas eu encore le temps de sortir de ses doutes que déjà l’imprévu avait de nouveau éclaté comme un coup de foudre, et dans ces dernières interventions M. Thiers restait sûrement plus que jamais le représentant de cet « instinct national » et de ce « bon sens » dont il parlait, — l’homme de la France !


VI

Ici tout se presse et le drame a son prologue. On était aux derniers jours de juin 1870. Le ministère Emile Ollivier avait passé