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qu’il en coûte pour faire oublier la liberté. Il montrait, toutes les fois qu’il en trouvait l’occasion, comment il avait fallu mettre, à la place de la liberté, d’abord les grands travaux, c’est-à-dire les grandes dépenses, — puis une autre politique, « la politique des nationalités » devenue bientôt la politique « des grandes agglomérations, » — et tout cela pour arriver aux plus cruels mécomptes ! Qu’en fallait-il conclure ? La conclusion se dégageait d’elle-même ; M. Thiers mettait tout son art à la faire accepter : c’était la nécessité de rendre au pays le droit et les moyens de s’intéresser, de coopérer librement à ses propres affaires, de rétablir dans l’état les « résistances respectueuses, mais fermes, » les garanties constitutionnelles. « J’ai entendu, poursuivait-il, plusieurs de mes honorables collègues me dire, quand je leur exposais dans des entretiens intimes ma manière de penser : « Mais cette forme de gouvernement que vous croyez la seule salutaire pour la monarchie, nous y marchons… Eh bien ! soit, je veux bien admettre que nous y marchons. Laissez-moi ajouter que les efforts que je fais en ce moment tendent tous à ce que nous y marchions plus vite. Il ne faut pas s’attarder sur cette route, car, en s’y attardant, on a rencontré déjà l’expédition du Mexique et les affaires d’Allemagne ! .. Je vous en supplie donc, marchons vite dans cette voie, marchons-y dans l’intérêt du pays, du gouvernement, de tout ce que vous aimez, de tout ce que vous honorez, de tout ce que vous respectez le plus profondément. »


V

Les momens devenaient graves en effet. On pouvait bien encore se parer du dernier lustre d’une exposition fastueuse qui, entre deux crises, attirait à Paris les empereurs et les rois. On pouvait bien se faire illusion, essayer des diversions par des visites intimes à Osborne, auprès de la reine d’Angleterre, ou par une entrevue du souverain français avec l’empereur d’Autriche, à Salzbourg, au lendemain de la mort tragique de l’infortuné Maximilien. Au fond, à partir de 1867, l’empire était en pleine crise, et Napoléon III lui-même, dans un de ses voyages, avouait qu’il y avait des « points noirs à l’horizon. » Les « points noirs, » ils se multipliaient et grossissaient à l’extérieur comme à l’intérieur. La situation était sérieuse Surtout par l’incertitude, par le conflit de toutes les politiques dans la confusion. D’un côté, à l’extérieur, l’empire se sentait atteint par les affaires d’Allemagne et avait de la peine à le cacher. Il flottait dans les contradictions, tantôt paraissant se soumettre aux événemens accomplis et faisant ses circulaires sur les « grandes agglomérations, » tantôt proposant une nouvelle loi militaire et chargeant le maréchal Niel de refaire une armée. En ayant l’air ou en