Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/824

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des instincts libéraux ravivés, excités par des concessions incomplètes. Tout se confondait dans cette politique obscure, et c’est ainsi que l’empire de Napoléon III était pris par degrés dans un redoutable engrenage. D’un côté, faute d’une idée claire et juste des grands intérêts du monde et de la France, il se laissait entraîner dans une série d’affaires où il cherchait un succès pour garder son ascendant, où il ne trouvait que des mécomptes. Il allait des complications italiennes à la campagne de vœux stériles et d’excitations imprévoyantes pour la Pologne, de la campagne polonaise à la malheureuse négociation danoise, pour se réveiller tout à coup devant l’Allemagne agrandie et ennemie. Il multipliait en même temps ce qu’on appelait les « expéditions lointaines, » s’engageant partout, en Syrie, en Chine, en Cochinchine, — surtout au Mexique, où il trouvait sa guerre d’Espagne. D’un autre côté, après avoir donné lui-même le signal d’une évolution intérieure, d’une sorte de conversion libérale par le décret du 24 novembre 1860, il se montrait à la fois entraîné et embarrassé, il cédait ou se raidissait selon les circonstances et avait toujours l’air de garder un esprit de retour. L’empire procédait avec le décousu des pouvoirs incertains, tantôt accordant au corps législatif le droit de voter l’adresse, tantôt retirant ce droit et le remplaçant par le droit d’interpellation ; un jour créant des ministres sans portefeuille, ce qu’on appelait les « ministres de la parole, » un autre jour instituant un ministre d’état seul chargé de représenter le gouvernement auprès des chambres. Il marchandait sur tout, pour finir par céder partiellement, avec incohérence, souvent dans le trouble où il se sentait rejeté par les déceptions croissantes de sa diplomatie. Il se donnait les désavantages du régime parlementaire sans en avoir la force, jusqu’au jour où tout se trouvait assez engagé et dans la politique extérieure et dans la politique intérieure pour que l’empire lui-même ne pût plus reculer.

C’est devant cet ensemble de choses, au moment où se serrait déjà cet étrange drame, aux élections de 1868, que M. Thiers se décidait à sortir de sa retraite pour reprendre un rôle public et actif. Jusque-là il n’avait été qu’un spectateur ; après le décret du 24 novembre 1860 et les sénatus-consultes de 1861, qui rendaient une certaine liberté, une certaine dignité aux débats parlementaires, en laissant entrevoir la possibilité de nouveaux progrès, il se laissait tenter. Il acceptait en toute indépendance une candidature dans le Ier arrondissement de Paris, et la maladroite âpreté que le ministre de l’intérieur, M. de Persigny, mettait à le combattre ne pouvait que relever l’importance de l’élection qui le ramenait, après douze ans d’absence, dans une assemblée où tout était nouveau pour lui, où il reparaissait comme l’expression vivante d’un mouvement