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soir d’hiver, jusqu’à la guerre d’Italie, il peut passer pour heureux. Au delà, tout semble changer. Les victoires des armes elles-mêmes perdent de leur prix. Les dehors peuvent rester à demi imposans et tromper encore : la crise a déjà commencé pour ne plus s’interrompre, pour s’aggraver d’année en année, au contraire, en se compliquant de malaises d’opinion, de défaillances ou de contradictions de gouvernement, de mécomptes extérieurs de tout genre, d’incohérences croissantes. Que s’est-il donc passé ? La logique fait son œuvre, le despotisme porte ses mauvais fruits, l’institution laisse voir par degrés ses faiblesses : le secret du règne est dévoilé ! L’empire oscille avant de s’affaisser sous le poids de son principe, par la faute de la politique qui le dirige et du caractère de celui-là même qui est le représentant couronné du régime.

Sans doute la dictature avait pu naître en 1852 comme elle était née en 1800, comme naissent les dictatures, d’une crise d’anarchie morale et politique poussée à bout. Par le fait cependant, ce second empire qui apparaissait comme la continuation, comme la reproduction ou la réduction du premier, en différait singulièrement. Fonder le pouvoir le plus illimité à l’issue d’une révolution qui n’avait été qu’un long et sanglant combat, qui avait tout confondu sans avoir encore rien réorganisé, qui laissait tout à faire dans une société épuisée de licence et de violences, c’était possible ; c’était peut-être permis au génie, et encore l’expérience a-t-elle prouvé que le génie lui-même n’y suffisait pas, qu’il pouvait être la première victime de la toute-puissance. Prétendre renouer les traditions de 1804, relever tout à coup les institutions consulaires et impériales après un demi-siècle écoulé, c’était confondre les dates et les situations, abroger quarante années d’histoire constitutionnelle. La France de 1852 n’était plus la France de 1800. Elle avait eu le temps de s’imprégner d’esprit libéral pendant trente-quatre ans de régime parlementaire. Elle avait pu tout oublier dans un moment de réaction effarée et se laisser entraîner par le dégoût de l’anarchie, par une irrésistible passion d’ordre jusqu’à accepter ou à subir une dictature de circonstance ; elle avait trop vécu d’air libre, de légalité, d’éloquence parlementaire pour se soumettre sans retour au régime des assemblées muettes et des pouvoirs discrétionnaires, pour ne pas sentir tous ses instincts se réveiller à mesure que l’expérience lui révélerait le prix des garanties, des droits de contrôle qu’elle avait perdus. A vouloir refaire l’omnipotence césarienne dans ces conditions, dans une société momentanément surprise, mais formée pendant de longues années aux mœurs libérales, on s’exposait à se trouver en face de prochains et inévitables réveils d’opinion contre lesquels on n’aurait que la force qui ne résout rien, ou la ruse qui ne fait qu’ajourner les crises, ou la captation par les somptuosités,