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fallait les faire répéter, ce qui est toujours un fâcheux symptôme lorsqu’il est permis d’appréhender des complications. Les événemens allaient en effet se précipiter.

Tandis que M. Benedetti, au sortir de ses entretiens avec le président du conseil et de ses conférences avec M. de Bylandt, télégraphiait à son gouvernement qu’il était urgent, d’après les indications de M. de Bismarck, de conclure sans retard à La Haye, M. de Goltz se présentait, d’un air effaré, au ministère des affaires étrangères, à onze heures du soir, pour dire à M. de Moustier que l’affaire du Luxembourg prenait, comme il l’avait prévu, la plus mauvaise tournure, et pour l’engager à tout rompre. Il s’autorisait de l’agitation du parlement, de l’irritation du sentiment public et de la résistance du parti militaire pour nous supplier de ne pas passer outre. M. de Moustier répondit à M. de Goltz que tout était fini, que rien ne nous ferait reculer d’un pas, quelles que dussent être les conséquences. Il plaça sous ses yeux la dépêche qu’il avait adressée la veille au soir à M. Benedetti, pour l’informer que le roi des Pays-Bas avait envoyé à l’empereur son consentement par écrit, que nous considérions la question comme vidée, et que tout retour en arrière était impossible. Il ajouta qu’après la confiance que nous avions témoignée au comte de Bismarck en déférant à tous ses avis, et les déclarations et les protestations que personnellement l’ambassadeur n’avait cessé de nous faire entendre, nous étions en droit d’affirmer qu’on nous avait attirés dans un piège. Il lui répéta que nous assumions sur nous toute la responsabilité de l’acte de cession et que la crainte de la guerre ne nous ferait pas rompre d’une semelle.

M. de Goltz écouta M. de Moustier jusqu’au bout, sans sourciller ; il ne défendit pas son ministre, il ne protesta pas contre les reproches qui lui étaient personnellement adressés ; il se contenta de dire en ricanant : « Il est de fait que ce serait bien absurde de se battre pour si peu de chose que le Luxembourg. »

M. de Moustier disait en informant M. Benedetti de l’incident : « Je ne concilie pas la demande de Goltz de tout suspendre à La Haye avec le désir si visiblement manifesté par M. de Bismarck d’une rapide conclusion. Voudrait-il par là se mettre à couvert et pouvoir démontrer par cette démarche qu’il s’est opposé à la cession ? » Il était permis, en effet, de se demander ce qui avait pu motiver ce revirement soudain. Mais pour répondre, il eût fallu pouvoir lire dans les cartes du ministre prussien et saisir les fils si compliqués de sa politique. « M. de Bismarck, a dit M. Victor Cherbuliez, n’est pas un homme complet, mais c’est un homme compliqué, » S’était-il flatté que, sous l’impression des inquiétudes