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qui l’appelaient par intérêt ou par ambition, et de ceux qui le redoutaient comme une nouvelle et périlleuse aventure. A la veille de la catastrophe, M. Thiers, d’un accent pathétique, s’efforçait encore de ramener les partis au sentiment de la situation en leur montrant qu’il s’agissait « de l’avenir du gouvernement représentatif, » de l’existence « de la dernière assemblée peut-être qui représenterait véritablement la France. » Avant M. Thiers, Berryer, dans un impériaux mouvement d’éloquence, s’était écrié un jour : « Je ne sais pas quels seront vos successeurs, je ne sais pas si vous aurez des successeurs ; ces murs resteront peut-être debout, mais ils seront habités par des législateurs muets. » Seuls, des républicains plus aveugles, plus infatués que les autres, affectaient de répéter qu’on n’oserait, qu’il n’y avait rien à craindre de l’Elysée, et à tout événement ils se croyaient sûrs d’être défendus par ce qu’ils appelaient pompeusement « la sentinelle invisible, — le peuple… » En quelques heures tout était accompli ! La « dernière assemblée, » dont parlait M. Thiers, avait vécu. L’ère des « législateurs muets, » prédite par Berryer, était arrivée ! .. La « sentinelle » des républicains était restée décidément « invisible, » laissant passer le coup d’état. La masse assistait au dénoûment de cette révolution nouvelle sans s’y mêler, ou du moins ce qu’il y avait de résistance, d’agitation partielle, décousue ou violente à Paris et dans quelques provinces ne servait qu’à hâter la victoire de la force, à lui donner des prétextes de répressions plus terribles, à pousser les populations excédées et dégoûtées vers un scrutin d’où sortait la consécration de la dictature.

L’étiquette républicaine subsistait provisoirement, sans doute ; la réalité, c’était le césarisme envahissant tout, s’inaugurant par l’intimidation et la captation, se donnant à lui-même son gouvernement et ses lois.

Lorsque les partis s’agitent et se font la guerre dans le tumulte d’une révolution, ils ne savent pas toujours ce qu’ils font, ils ne saisissent pas la logique qui se joue souvent de leurs calculs et de leurs efforts. Depuis plus d’une année, les partis, par une étrange et meurtrière émulation, faisaient de cette date de 1852 comme un mystérieux et redoutable rendez-vous. Les uns, les conservateurs, y voyaient l’occasion d’une effroyable crise où la société française pouvait périr ; ils agitaient devant l’imagination publique ébranlée le « spectre rouge. » Les autres, les démagogues ou les républicains, mettaient une sorte de forfanterie à justifier ces terreurs d’opinion par leurs déclamations et par leurs menaces ; ils ne cachaient pas qu’ils comptaient en effet, pour la réalisation de leurs espérances, de leurs desseins révolutionnaires, sur cette échéance des élections, de l’interrègne momentané de tous les pouvoirs. Ni