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d’excellentes applications pourraient en être faites aux services de l’instruction publique, et que l’École normale, en particulier, devrait sur certains points s’inspirer de cet esprit.

Le supérieur de la maison d’Issy, quand j’y passai, était M. Gosselin. C’est l’homme le plus poli et le plus aimable que j’aie jamais connu. Sa famille appartenait à cette partie de l’ancienne bourgeoisie qui, sans être affiliée aux jansénistes, partageait l’attachement extrême de ces derniers pour la religion. Sa mère, à laquelle il paraît qu’il ressemblait beaucoup, vivait encore, et il l’entourait de respects touchans. Il aimait à rappeler les premières leçons de politesse qu’elle lui donnait vers 1796. Dans son enfance, il s’était habitué, selon un usage auquel il était dangereux de se soustraire, à dire : « citoyen ». Dès les premiers jours où l’on célébra la messe, après la révolution, sa mère l’y mena. Ils se trouvèrent presque seuls avec le prêtre. « Va offrir à monsieur de lui servir la messe, » lui dit Mme Gosselin. L’enfant s’approcha et balbutia en rougissant : « Citoyen, voulez-vous me permettre de vous servir la messe ? — Chut ! reprit sa mère, il ne faut jamais dire citoyen à un prêtre. » Il est impossible d’imaginer une plus charmante affabilité, une aménité plus exquise. Il n’avait que le souffle et n’atteignit la vieillesse que par des prodiges de soin et de sobre hygiène. Sa jolie petite figure, maigre et fine, son corps fluet remplissant mal les plis de sa soutane, sa propreté raffinée, fruit d’une éducation datant de l’enfance, le creux de ses tempes se dessinant agréablement sous la petite calotte de soie flottante qu’il portait toujours, formaient un ensemble très distingué.

M. Gosselin était un érudit plutôt qu’un théologien. Sa critique était sûre dans les limites d’une orthodoxie dont il ne discuta jamais sérieusement les titres ; sa placidité, absolue. Il a composé une Histoire littéraire de Fénelon, qui est un livre fort estimé. Son traité du Pouvoir du pape sur les souverains au moyen âge[1] est plein de recherches. C’était le temps où les écrits de Voigt et de Hurter révélaient aux yeux des catholiques la grandeur des pontifes romains du XIe et du XIIe siècle. Cette grandeur n’était pas sans causer plus d’un embarras aux gallicans ; car il faut avouer que Grégoire VII et Innocent m ne conformèrent en rien leur conduite aux maximes de 1682. M. Gosselin crut avoir résolu par un principe de droit public, reçu au moyen âge, toutes les difficultés que causent aux théologiens modérés ces histoires grandioses. M. Carrière souriait un peu de son assurance et comparait l’essai aux efforts d’une vieille qui cherche à enfiler son aiguille en la tenant bien fixe entre la lampe et ses lunettes. Un moment, le fil passe si près du trou qu’elle s’écrie :

  1. Première édition, 1839 ; deuxième édition fort augmentée, 1845.