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intérieure de la Santa-Casa de Lorette, que la piété sulpicienne a choisie pour son lieu de prédilection et décorée de ces peintures emblématiques qui lui sont chères. Je vois encore la rose mystique, la tour d’ivoire, la porte d’or, devant lesquelles j’ai passé de longues matinées en un demi-sommeil. Hortus conclusus, fons signatus, très bien figurés en des espèces de miniatures murales, me donnaient fort à rêver ; mais mon imagination, tout à fait chaste, restait dans une douce note de piété vague. Hélas ! ce beau parc mystique d’Issy, je crois que la guerre et la commune l’ont ravagé. Il a été, après la cathédrale de Tréguier, le second berceau de ma pensée. Je passais des heures sous ces longues allées de charmes, assis sur un banc de pierre et lisant. C’est là que j’ai pris (avec bien des rhumatismes peut-être) un goût extrême de notre nature humide, automnale, du nord de la France. Si, plus tard, j’ai aimé l’Hermon et les flancs brûlés de Galaad, c’est par suite de l’espèçe de polarisation qui est la loi de l’amour et qui nous fait rechercher nos contraires. Mon premier idéal est une froide charmille janséniste du XVIIe siècle, en octobre, avec l’impression vive de l’air et l’odeur pénétrante des feuilles tombées. Je ne vois jamais une vieille maison française de Seine-et-Oise ou de Seine-et-Marne, avec son jardin aux palissades taillées, sans que mon imagination me représente les livres austères qu’on a lus jadis sous ces allées. Malheur à qui n’a senti ces mélancolies et ne sait pas combien de soupirs ont dû précéder les joies actuelles de nos cœurs !

Les rapports des directeurs de Saint-Sulpice avec les élèves ont un caractère large et grave. Il n’y a sûrement pas un établissement au monde où l’élève soit plus libre. A Saint-Sulpice de Paris, on pourrait passer trois années sans avoir eu aucune relation sérieuse avec un seul des directeurs. On suppose que le régime de la maison agit par lui-même. Les directeurs mènent exactement la vie des élèves et s’occupent d’eux aussi peu que possible. Si l’on veut travailler, on est admirablement placé pour cela. Si l’on n’a point l’amour du travail, on peut ne rien faire, et il faut avouer qu’un grand nombre usent largement de la permission. Les interrogations, les examens sont presque nuls ; l’émulation n’existe à aucun degré et serait tenue pour un mal. Si l’on considère l’âge des élèves, en moyenne de dix-huit à vingt-quatre ans, on peut trouver qu’une telle réserve est presque exagérée. Elle nuit sûrement aux études. Mais, quand on y a réfléchi, on trouve que ce respect suprême de la liberté, cette façon de traiter comme des hommes faits des jeunes gens déjà consacrés par l’intention du sacerdoce, sont la seule règle convenable à suivre dans la tâche épineuse de former des sujets pour le ministère le plus élevé qu’il y ait d’après les idées chrétiennes. J’estime même, pour ma part, que