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l’Oratoire pour la fermeté de la raison et le talent d’écrire, mais à qui manque la plus essentielle des vertus catholiques, la docilité. Port-Royal, comme le protestantisme, eut le dernier des malheurs. Il déplut à la majorité, fut toujours de l’opposition. Quand on a excité l’antipathie de son pays, on est trop souvent amené à prendre son pays en antipathie. Deux fois malheur au persécuté ! car, outre la souffrance qui lui est infligée, la persécution l’atteint dans sa personne morale ; presque toujours la persécution fausse l’esprit et rétrécit le cœur.

Olier, dans ce groupe de réformateurs catholiques, présente un caractère à part. Sa mysticité est d’un genre qui lui appartient. Son Catéchisme chrétien pour la vie intérieure, qu’on ne lit plus guère hors de Saint-Sulpice, est un livre des plus extraordinaires, plein de poésie et de philosophie sombre, flottant sans cesse de Louis de Léon à Spinoza. Olier conçoit comme l’idéal de la vie du chrétien ce qu’il appelle « l’état de mort. »


Qu’est-ce que l’état de mort ? C’est un état où le cœur ne peut être ému en son fond, et, quoique le monde lui montre ses beautés, ses honneurs, ses richesses, c’est tout de même comme s’il les offrait à un mort, qui demeure sans mouvement et sans désirs, insensible à tout ce qui se présente… Le mort peut bien être agité au dehors et recevoir quelque mouvement dans son corps ; mais cette agitation est extérieure ; elle ne procède pas du dedans, qui est sans vie, sans vigueur et sans force. Ainsi une âme qui est morte intérieurement peut bien recevoir des attaques des choses extérieures et être ébranlée au dehors, mais au dedans de soi elle demeure morte et sans mouvement pour tout ce qui se présente.


Ce n’est pas assez dire. Olier imagine comme bien supérieur à l’état de mort l’état de sépulture.


Le mort a encore la figure du monde et de la chair ; l’homme mort paraît encore être une partie d’Adam ; encore parfois le remue-t-on ; il donne encore quelque agrément au monde ; mais de l’enseveli on n’en dit plus mot, il n’est plus dans le rang des hommes ; il est puant, il est en horreur ; il n’a plus rien qui agrée ; il est foulé aux pieds dans un cimetière, sans que l’on s’en étonne, tant le monde est convaincu qu’il n’est rien et qu’il n’est plus du nombre des hommes.


Les sombres rêves de Calvin sont presque de l’optimisme pélagien auprès des affreux cauchemars que le péché originel cause à notre pieux contemplatif.