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discussion qui s’est élevée dans la chambre des députés au sujet de l’extension possible ou des limites de la réforme constitutionnelle qui se prépare ; c’était, si l’on veut, une simple escarmouche avant la bataille ; l’escarmouche n’est pas moins significative. M. le président du conseil, combattant l’urgence sur une proposition de révision, s’est empressé de limiter d’avance cette révision, que M. Clemenceau voulait au contraire étendre indéfiniment, en réservant dans tous les cas le droit souverain de l’assemblée nationale qui sera réunie. Le chef du cabinet a cherché des armes ou des raisons dans les précédens, dans les traditions constitutionnelles, dans les considérations d’ordre public et de prévoyance ; il a montré le danger qu’il y aurait à mettre en doute l’existence même du sénat, à « ouvrir la porte à toutes les aventures, en ne fixant pas d’avance des points précis. » Rien de mieux ! M. le président du conseil est un homme à l’occasion plein de prudence ; mais qui donc a ouvert la porte et qui a engagé le débat ? Qui a donné avec une certaine autorité le premier signal d’une atteinte à cette constitution dont M. Gambetta se plaît à vanter la solidité au moment même où il l’ébranlé ? Lorsqu’enfin les deux chambres, par des délibérations séparées, auront voté la révision qu’on va leur proposer et auront fixé les « points précis » dont parle M. le président du conseil, lorsque le congrès sera réuni, qui a le droit d’enfermer une assemblée souveraine dans un ordre du jour inflexible, de lui dire qu’elle n’ira pas au-delà de la limite qu’on aura tracée ? M. le président du conseil prétend que l’assemblée ne peut pas et ne doit pas dépasser la limite ; M. Clemenceau soutient qu’elle le peut et qu’elle le doit, que rien ne peut l’en empêcher. Entre M. Gambetta et M. Clemenceau qui prononcera ? C’est l’inconnu. D’ailleurs, il faut voir les choses dans leur vérité : les réformes constitutionnelles que le gouvernement lui-même semble vouloir proposer, qu’il veut bien appeler partielles, sont assez graves et assez complexes pour conduire à tout. Elles touchent le sénat dans son origine par le mode d’élection, dans une partie de sa constitution par la menace suspendue sur les inamovibles, dans son indépendance et dans ses droits par la diminution projetée de ses attributions. Avec cela on peut aller loin, et les limites sont assez vaines. La carrière est ouverte.

Un esprit habile et libéral, M. Edmond Scherer, qui est lui-même sénateur et sénateur républicain, vient d’écrire sur cette Révision de la constitution des pages aussi vives que sensées, où il montre tout ce qu’il y a d’artificiel et de périlleux dans cette question soulevée sans raison, exploitée par les partis, aggravée par l’intervention, par la complicité du gouvernement. A quels signes a-t-on pu reconnaître qu’elle ait un instant préoccupé et passionné l’opinion ? Où a-t-on vu l’apparence d’un mouvement spontané, à demi sérieux, du pays autour de cette question ? Elle est née d’un artifice de parti, cela n’est pas