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d’œuvres déjà proches, et pour des raisons dont quelques-unes ne contribuent peut-être que médiocrement à sa vogue.

Le succès du Petit Jacques, sur la scène de l’Ambigu, n’a pas besoin d’être étudié si longuement ; aussi bien il n’est pas pour embarrasser nos doctrines. Le Petit Jacques fait couler plus de larmes non-seulement « qu’Iphigénie en Aulide immolée, » mais peut-être même que les Deux Orphelines, de MM. d’Ennery et Cormon. M. Busnach a tiré ce drame d’un roman de M. Claretie, Noël Rambert, qui mériterait d’être plus connu. M. Busnach est un laborieux et habile fabricant de pièces qui fait rire dans un théâtre et pleurer dans un autre ; en même temps que le Petit Jacques, on donne de lui une bouffonnerie, la Chambre nuptiale, au Gymnase, où M. Saint-Germain est délicieux, et cette nouveauté n’est pas indigne d’accompagner sur l’affiche, avec les Premières Armes de Richelieu, Indiana et Charlemagne, joué à ravir par Mlle Granier. Deux jours avant le Petit Jacques, on avait accueilli froidement, au théâtre du Château-d’Eau, la San Felice, de M. Drack, un drame fait avec soin, d’après le roman de Dumas père, mais peut-être un peu confus et surtout assez mal joué : le Petit Jacques paraît et ravit tous les suffrages ; aussitôt les partisans de ce genre naufragé du mélodrame agitent leurs mouchoirs trempés de larmes en signal de salut. Je constaterai comme eux et sans chagrin ce succès : je les inviterai cependant à rabattre de leur joie. Pourquoi le Petit Jacques a-t-il réussi ? Parce que M. Busnach, en homme d’expérience et de sens, connaît les « ficelles » du théâtre et les juge : pour les avoir employées souvent, il sait qu’elles sont usées. Il a donc réduit le roman à un mélodrame clair et simple, et moins mélodramatique que le roman lui-même ; et enfin, dans cette fable, tel qu’elle est apparue à la lumière de la rampe, les parties que le public a de beaucoup préférées au reste sont les plus éloignées du vieux type de la pièce d’intrigue, les plus uniment pathétiques, les plus naturellement humaines. Personne n’est dupe du manège par lequel l’auteur amène cette rencontre nécessaire, mais moralement presque impossible, de l’accusé innocent et du magistrat coupable ; mais, une fois ces deux hommes en présence, quand ce juge propose à ce père, en échange d’un aveu mensonger, la fortune qui paiera la guérison de son enfant malade ; plus tard, dans la nuit qui précède l’exécution annoncée, quand le seul témoin du crime, silencieux jusque-là et partant complice du juge, assiste au rêve de l’enfant somnambule et le voit désigner du doigt la guillotine où va mourir son père : alors, devant celui-là qui doit choisir de sa vie et de son honneur ou de la vie de son enfant, devant celui-ci que le remords tire de sa lâcheté payée, notre âme s’attendrit, s’émeut, et ce n’est plus seulement parce qu’un enfant souffre sur la scène que les larmes nous jaillissent des yeux ; ce n’est pas seulement une illusion cruelle qui met nos nerfs en branle : c’est la juste sympathie que doit exciter en