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des cheveux de la mère, — noués comment ? avec de la soie bleue… Ah ! vous devinez tout ! Vous devinez mettre peut-être que Bérengère touche du piano et qu’elle joue de préférence les airs que sa mère « affectionnait. » — Celui-ci, tenez, « que maman jouait dans le salon de ma grand » mère quand papa est venu demander sa main… Papa a voulu qu’on le jouât à l’église le jour de son mariage, » — de ce mariage où assistait la dame en deuil qui pleure sur ce canapé. Le moyen de ne pas pleurer nous-mêmes ! Mais le moyen aussi de ne pas réfléchir tout en pleurant qu’on nous fait pleurer à peu de frais, et de ne pas en vouloir un peu à l’auteur qui réussit à nous toucher par un artifice si peu rare, après qu’il y a tâché par de plus nobles procédés !

La scène tourne à la fin sur ce quiproquo prolongé qui est le pivot usé de tant de méchantes scènes de drame. « Je sais dans cette ville une femme… votre père la connaît comme moi… une femme qui, depuis des années, vit loin de son mari et de son enfant… — Une mauvaise femme alors ? — Bien malheureuse ! .. — Laissons cette vilaine femme, voulez-vous ? .. Parlons encore de maman ! .. — Oh ! non,.. non ! .. Ne parlons plus d’elle… C’est, fini… Mais Dieu, juste Dieu ! .. de sa bouche… quel châtiment ! .. — Vous nous laissez déjà ? — Oui, il le faut, je vais quitter Nice. — Je ne vous verrai plus ? — Ailleurs, plus tard. » Ce « plus tard, » vous l’entendez ! Un moment après, je ne sais quel Théramène, M. Berton ou M. Dieudonnè, vient nous raconter que la pauvre Odette a réalisé le roman que son mari avait inventé, selon l’ordre que le récit de sa fille lui a indiqué tout à l’heure ; elle a pris une barque, elle s’est fait mener au large, elle s’est laissée couler. Seulement cette fois, on a retrouvé son corps et non plus son voile. M. de Clermont-Latour permet à sa fille d’aller pleurer et prier après du cadavre de la « dame, » comme tant de fois elle a fait sur le cénotaphe élevé dans le parc de Brétigny. On ne dit pas si Bérengère prendra le deuil, ni combien de jours encore sera différé son mariage avec le petit Meryan, un pauvre jeune homme, par parenthèse, qui ne peut que pousser à la fin un : « Ah ! » de soulagement en apprenant que les vœux de sa mère sont cruellement comblés.

Bérengère, tout à l’heure, en disant que la « vilaine femme » aurait dû se repentir, nous avait fait prévoir une peine moins sévère. M. Sardou a craint de paraître démodé s’il envoyait Odette au couvent de la Fiammina, ou banal tout au moins s’il l’exilait comme miss Multon ; pour être, à l’improviste, plus inhumain qu’il ne fallait, il n’échappe pas, ce me semble, à la banalité. Ainsi se termine, d’une façon déplaisante et peu rare, ce drame que l’affiche annonce pour comédie. Ai-je expliqué pourquoi le public n’en reçoit pas une impression très nette, et comment, malgré cela, il s’y intéresse ? Au moins j’espère avoir montré que si j’estime cet ouvrage, c’est surtout comme garant