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maintiens hardiment contre les ennemis de M. Sardou et quelques-uns de ses amis, non pas tant pour elle-même que pour l’espérance qu’elle donne, Odette est le gage d’une conversion que Divorçons, dans un autre ordre, annonçait l’an dernier ; M. Sardou renonce à l’intrigue, à ses ruses, à ses prestiges : il prétend désormais peindre des caractères.

Vainement de méchans amis nous jurent qu’il n’a rien prétendu faire, encore cette fois, que ce qu’il a fait ; vainement ils nous prient de nous extasier, sans raffiner davantage, sur l’habileté de l’auteur qui enferme dans un seul ouvrage, sous la rubrique modeste de comédie en quatre actes, un drame, un vaudeville, un fragment de tragédie et, pour finir, un morceau, mais un fin morceau de mélodrame, de façon que des goûts différens trouvent leur compte dans ce commode assemblage. Nous reconnaissons qu’en effet un pareil résultat suppose une expérience du métier, une dextérité merveilleuse, une adresse bien rare à passer d’un genre à un autre, et que ce spectacle est à souhait pour amuser tour à tour les divers penchans du public et même les plus contraires, pour le prendre et le reprendre et lui donner à propos des intervalles de relâche, pour le faire rire et pleurer avec un égal agrément ; nous confessons que, si l’auteur n’a rien voulu que s’acquitter avec munificence d’un engagement pris à date fixe envers un directeur de théâtre, et pour ce faire lui livrer une pièce qui pût agréer à un public cent fois renouvelé, l’auteur a touché le but qu’il visait. Mais nous croyons, nous, dût-il s’en fâcher, qu’il visait au-delà et beaucoup plus haut, et personne, pas même lui, pas même ses pires défenseurs, ne peut nous interdire de prévoir qu’il y atteindra.

Récemment j’avais l’occasion de louer ici la simplicité du sujet de Divorçons, et la franchise ou, si j’ose dire, la pureté du scénario. Un mari que sa femme trouve insupportable feint de lui rendre sa liberté : elle le trouve aussitôt charmant ; l’amoureux, qui semblait charmant, parvenu au grade de mari, devient insupportable : à la fin, le mari rentre dans son rôle et l’amant sort de la maison. Quoi de plus simple, et quelle malice y a-t-il dans la disposition de cet ouvrage ? Quel imbroglio qu’un enfant ne puisse défaire en tirant l’unique fil qui flotte d’un bout à l’autre de cette comédie ? Nous voilà dispensés de ces écheveaux faits de trente brins noués ensemble et que les critiques nos prédécesseurs s’évertuaient à dévider. Même nous trouvons que le sujet de Divorçons n’est pas nouveau : Brutus, lâche César, un vaudeville de Rosier, offrait déjà cette donnée : M. Sardou l’a prise ou plutôt acceptée pour se garder tout entier à l’observation des caractères ; et sa pièce, en effet, vaut, selon ses intentions, par le détail d’un dialogue ingénieusement bouffon qui nous fait bien connaître deux créatures humaines.

M. Sardou, cette fois, a pris mieux encore ses sûretés pour n’être