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dans la dernière session, vous sauriez que la bière alourdit les bras et les jambes, et vous sauriez aussi quel effet bienfaisant produit sur le pauvre homme un verre d’eau-de-vie pris à propos. » Cette raison peut être bonne, mais il en est une autre meilleure encore pour quiconque n’ignore pas que les conservateurs du Nord de l’Allemagne, les grands propriétaires de la Poméranie et du Mecklembourg tirent le meilleur de leurs profits de la distillation des pommes de terre. Un Alsacien disait un jour à M. Herzog, ministre d’état : « Les Anglais ont fait la guerre à la Chine pour l’obliger à prendre leur opium ; les propriétaires mecklembourgeois et poméraniens n’ont eu besoin que d’un article de loi pour nous contraindre à boire leur eau-de-vie, et il ne leur chaut guère que nous en buvions trop. »

Le dogme étant réservé, les catholiques sont en meilleure situation que les libéraux pour passer un accord avec le chancelier. Ils savent qu’aucun pape et aucun concile n’a décidé qu’il fallût préférer la bière à l’eau-de-vie. Ils représentent des provinces où les doctrines protectionnistes sont en faveur, et ils ont voté en sûreté de conscience le nouveau tarif douanier. Ils ne sont pas contraires en principe au monopole du tabac, ils ne sont pas opposés non plus à certaines réformes sociales, pourvu qu’on fasse sa part à l’église, et l’institution de corps de métiers soumis au contrôle de l’état ne serait point pour leur déplaire, si l’état était en paix avec eux et leur demandait des conseils. Mais ils exigent avant tout qu’on règle leurs comptes, qu’on leur donne les satisfactions auxquelles ils pensent avoir droit, On cherche à se persuader dans le parti du centre qu’avant peu M. de Frankenstein sera devenu vice-chancelier de l’empire. C’est aller bien vite en affaires. Une seule chose est certaine : M. de Bismarck ne quittera pas son poste. Il disait l’autre jour que depuis qu’il avait vu de misérables fanatiques attenter à la vie de son souverain, il avait fait le serment de ne jamais l’abandonner et de tout lui sacrifier, ses aises, ses convenances et même ses rancunes. Quant au reste, rien ne l’oblige à précipiter ses résolutions. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas l’Allemagne, mais la Prusse qui doit se réconcilier avec le Vatican, et que la question religieuse sera traitée non dans le Reichstag, mais dans le parlement prussien, qui ne se réunira peut-être qu’en janvier. D’ici là, le Reichstag votera le budget, et puis l’on verra.

Ce qui ajoute à la fâcheuse bizarrerie de la situation, c’est que M. de Bismarck ne peut obtenir le monopole du tabac que du bon vouloir des catholiques et que les catholiques, fussent-ils résolus à le lui concéder, ne seraient pas certains d’emporter le vote. Le Reichstag étant au complet la majorité absolue est de 199 voix, et les conservateurs de toute nuance, unis aux catholiques, n’en comptent que 187. Il faut un appoint. Qui le fournira ? Parmi les groupes si divers que renferme