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grands désastres. Dans le trouble où ces nouvelles le jetaient, il accueillait sans réflexion les accusations que son entourage portait hautement contre les troupes boliviennes et le général Buendia. A les en croire, les défaites essuyées étaient ducs au défaut de concours des Boliviens, auxquels le général Prado lui-même avait donné ordre de faire halte sur les rives du Camarones et d’y attendre le résultat de la bataille de Dolores. Au général Buendia on reprochait son incapacité et son imprévoyance. Oubliant son héroïque résistance à Tarapaca et sa difficile retraite, le général Prado lui retira son commandement pour le donner à l’amiral Montero, homme remuant et aventureux, compromis dans maintes tentatives de révolution. Buendia ainsi que son état-major fut, en outre, décrété d’accusation et traduit devant un conseil de guerre.

En se refusant à prendre lui-même le commandement de l’armée, en alléguant pour rester à Arica l’état de sa santé, le président du Pérou avait obéi à des considérations personnelles, à la crainte de compromettre son pouvoir, qu’il sentait à la merci d’un insuccès militaire. Il savait, par une expérience chèrement acquise, comment se font et se renversent les présidens au Pérou. Une insurrection l’avait porté au pouvoir, une insurrection pouvait l’en chasser. L’oreille constamment tendue aux bruits qui lui venaient de Lima, il discernait de sourdes rumeurs de mécontentement. Les factions hostiles s’agitaient, elles lui reprochaient hautement son inaction ; l’orgueil national, violemment surexcité, lui attribuait toute la responsabilité des événemens, et quelques meneurs audacieux se servaient des revers du pays pour entraîner et soulever les masses.

Parmi eux et au premier rang figurait don Nicolas Pierola, ancien ministre des finances, adversaire acharné du général Prado. Décrété d’accusation en 1872 comme dilapidateur des deniers publics, on l’avait accusé, mais sans preuves, d’avoir été l’un des instigateurs de l’assassinat de Pardo, prédécesseur de Prado au fauteuil présidentiel. Réfugié au Chili, Pierola avait suivi avec attention les événemens qui amenèrent la guerre. Obéissant, disait- il, à son patriotisme, qui ne lui permettait pas d’assister sans y prendre part à une lutte d’où dépendait le sort du Pérou, il était revenu à Lima ; son prestige de conspirateur et son audace bien connue l’avaient fait accueillir par les ennemis du président Prado. La populace de Lima voyait en lui un chef résolu, le seul homme capable, disait-on, de vaincre le Chili. Nommé colonel de la garde nationale, il disposait à son gré de cette force militaire, maîtresse de la ville depuis le départ d’une partie de l’armée pour le sud.

Mieux renseigné par ses partisans sur ce qui se passait à Lima qu’il ne l’avait été par ses généraux sur les opérations de l’armée chilienne, Prado se décida à quitter Arica et à revenir à Lima, où sa