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sur les combattans exténués de fatigue, de faim et de soif. A cinq heures du soir, l’armée péruvienne reste maîtresse du champ de bataille ; les colonnes chiliennes battent en retraite, laissant sur le terrain quarante-neuf officiers, plus du tiers de leur effectif, quatre canons et cinquante-six prisonniers seulement. Ce dernier chiffre indique l’acharnement de la lutte : on avait tué de part et d’autre tout ce qui résistait. Épuisés par cette lutte sanglante, les vainqueurs sont hors d’état de poursuivre les vaincus. Buendia, redoutant l’arrivée de nouveaux contingens chiliens, ne laisse à ses hommes que six heures de repos. A onze heures du soir, l’armée péruvienne s’ébranle ; les morts, les mourans, les blessés sont abandonnés et les flammes de l’incendie éclairent au loin la marche des deux armées, qui s’enfoncent dans le désert. Tarapaca demeure vide. Le lendemain, un corps d’armée chilien de cinq mille hommes, expédié de Dolores, venait l’occuper, justifiant ainsi les prévisions du général Buendia.

Cette victoire sanglante et si chèrement achetée était due à l’héroïque ténacité des troupes péruviennes. Tour à tour vaincues et victorieuses, elles avaient lutté avec l’énergie du désespoir, mais ce combat, plus acharné que celui de Dolores, ne pouvait avoir les mêmes résultats. S’il sauvait l’honneur, il ne ramenait pas la fortune. La retraite de Buendia n’en fut ni moins pénible ni moins douloureuse. Ses troupes exténuées mirent vingt jours à franchir les 40 lieues qui les séparaient d’Arica. Obligées de longer les pentes abruptes de la Cordillère pour éviter les Chiliens, maîtres de la plaine, cheminant la nuit par un froid intense, campant le jour sans abri, sous un soleil implacable, rencontrant rarement une source où étancher leur soif, réduites à l’eau infecte de mares stagnantes, traversant de loin en loin des hameaux ravagés dont les habitans avaient fui, emportant leurs misérables vivres, ces colonnes atteignirent Arica dans un état déplorable. La moitié était restée en route. Pour se soustraire à d’intolérables souffrances, les uns s’étaient tués ; la faim, la soif, la maladie avaient emporté les autres. En dépit du sanglant combat de Tarapaca, le désert d’Atacama, les ports d’Antofagasta, de Cobija, Iquique, Pisagua, 120 lieues de côtes enfin, restaient au pouvoir du Chili.

Immobile à Arica, où le retenait, disait-il, le mauvais état de sa santé, le général Prado, président du Pérou, apprenait coup sur coup la prise de Pisagua, la perte de la bataille de Dolores, l’évacuation d’Iquique, l’inutile victoire de Tarapaca, la retraite des troupes alliées, dont les débris ralliaient Arica en désordre. Sans partager entièrement, au début, la confiance aveugle de ses compatriotes dans leur supériorité militaire, le président du Pérou n’avait ni prévu ni pris les mesures nécessaires pour parer à d’aussi