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dernière lutte enfin, il ne faut pas moins, pour le réduire, que le concours de la flotte chilienne tout entière.

C’est à la vitesse de sa marche qu’il a dû de déconcerter longtemps les combinaisons stratégiques de ses adversaires, de frapper, au moment opportun, des coups inattendus, de les inquiéter, de se soustraire à leurs atteintes et de compenser par sa mobilité la disproportion des forces. Arme à la fois offensive et défensive, sa vitesse lui permit de transporter sur les points vulnérables sa puissante artillerie. Déjà la guerre de sécession avait mis en relief l’absolue nécessité pour l’Alabama d’unir aux qualités nécessaires à un croiseur la vitesse, la rapidité d’évolution, et une grande puissance d’artillerie. L’amiral Grau sut tirer de ces qualités du Huascar tout le parti possible ; il sut également employer avec succès l’attaque par l’éperon et fit preuve d’une rare habileté dans le maniement difficile de cet engin de guerre.

En revanche, il convient de signaler à l’attention des hommes spéciaux les avantages que les Chiliens surent tirer de l’emploi des mitrailleuses légères et des canons-revolvers établis dans les hunes, transportables de bâbord à tribord et pouvant suivre dans leur tir les évolutions du navire. À l’aide de cette artillerie, ils balayèrent à maintes reprises le pont du Huascar, achevèrent la destruction de sa tourelle et firent pleuvoir sur ses derniers défenseurs une pluie de projectiles qui paralysa leur suprême effort. Le combat de Lissa était resté jusqu’ici le type du combat naval moderne. Celui de Punta-Angamos nous montre dans le Pacifique les progrès accomplis depuis et ceux qui restent à faire. Il exercera une grande influence sur les combinaisons des ingénieurs de constructions navales et sur les opérations des tacticiens.

Vainqueur sur mer et débarrassé de son terrible adversaire, le gouvernement chilien dirigea toute son attention sur les opérations de terre. Le corps d’armée d’Antofagasta fut renforcé et porté à seize mille hommes, sous les ordres du général Erasme Escala. Bien vêtus, bien équipés, et pourvus de tout le matériel nécessaire, on en détacha dix mille hommes que l’on embarqua sur l’escadre. Marins, officiers et soldats ignoraient le point de débarquement. Seuls, l’amiral commandant l’escadre, le général en chef et le ministre de la guerre, M. R. Sotomayor, qui les accompagnait, savaient que l’on se dirigeait sur Pisagua.

Le port était d’un accès difficile, mais son occupation par l’armée chilienne devait avoir pour résultat de couper en deux les forces de la coalition, dont les unes étaient massées à Iquique, au sud, et les autres à Arica, au nord. Pisagua se trouvait à peu près à égale distance de ces deux points. Le 2 novembre 1879, l’escadre chilienne se présentait par le travers de Pisagua, longeant la côte et