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publiques et privées, on peut les comparer ; le buste de Pise accuse une grande créature sèche, aux traits hardis, au nez très proéminent ; le cou maigre, osseux, est d’une longueur démesurée, et dans toutes les représentations que nous avons sous les yeux, bronze, toile ou marbre, la distance qui sépare le nez de la lèvre supérieure est tout à fait exagérée.

Puisque nous ne retrouvons ni sur le marbre ni sur le bronze la preuve de ces bellezze singolari del corpo qui distinguaient Isotta, ni cette beauté d’aspect dont parle la chronique anonyme de Rimini, il nous faut donc chercher dans l’être moral les causes de l’incroyable influence qu’elle sut exercer sur Sigismond. On a vu combien les témoignages sont nombreux ; mais ici encore, après avoir essayé de retrouver les preuves absolues, irréfutables, qui nous permettraient d’asseoir un jugement définitif, nous osons à peine formuler notre conclusion en présence des assertions des contemporains les plus augustes, et, s’il est possible d’écrire tout bas, comme on murmure une opinion qui va soulever un orage, nous oserons avancer que cette « prêtresse du culte d’Apollon, » cette favorite de Sigismond, qui « élevait son âme par la contemplation de la philosophie et vivait dans l’intimité constante de l’histoire, » n’était rien moins qu’une femme lettrée, et ne savait probablement pas lire.

On est tenu, quand on avance une opinion contraire à celle des historiens, de donner des preuves irrécusables ; je m’en rapporterai sur ce point à la perspicacité des lecteurs et je fournirai celles que j’apporte à l’appui de mon assertion.

Le fait avéré aujourd’hui pour tous les historiens et archivistes, c’est que les archives privées de la maison de Rimini ont été dispersées ; on a pu espérer un instant, en lisant l’extrait d’un procès-verbal rédigé en 1527 par des délégués du saint-siège chargés de rechercher patiemment, de maison en maison, à Rimini même, les documens qui avaient échappé aux exactions des habitans et à la fureur des troupes d’Adrien IV, que « deux sacs » portés au Vatican par ordre du pontife Clément VI (et qui devraient y être encore aujourd’hui) pourraient peut-être contenir quelques révélations inattendues sur les personnages de cette cour de Rimini. Autant qu’on peut être sûr de ce que contiennent les mystérieux casiers de la Secreta, ces deux sacs, dont l’autorité ecclésiastique la plus élevée affirme nous avoir livré le contenu, ne renfermaient que des papiers administratifs intéressant les rapports avec le saint-siège et des états relatifs aux compagnies engagées pour la défense du pontife, sous les ordres des condottieri de la maison de Rimini. C’est à la bibliothèque Vaticane, dans un recueil manuscrit, que nous avons trouvé le seul document décisif qui pouvait provenir de cette source :