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la résidence de Malatesta, et le déhanché ayant franchi le seuil de la chambre nuptiale à la douteuse clarté d’une lampe, c’est à la lumière du jour seulement que Françoise aurait reconnu son erreur. Il est possible qu’il y ait là un effet de mise en scène ; mais, quoi qu’il en soit, l’impression première a été profonde ; Françoise a aimé son beau-frère à première vue ; plus tard, ils succomberont à leur passion, et le jour où « ils ne lurent pas davantage, » le déhanché, averti par un serviteur et venu en toute hâte de Pesaro, où il est podestat, surprend les deux amans, et dans sa fureur, il les immole dans les bras l’un de l’autre.

Ce beau Paolo a failli passer dans l’histoire pour un bellâtre qui ne connaissait que l’art d’aimer. Benvenuto da Imola, un des première commentateurs de Dante, l’a perdu de réputation ; il a dit de lui qu’il était plus amoureux des divertissemens de la paix que des travaux de la guerre ; Françoise, énergique et fière (c’est ainsi que la représente la tradition qui parle par la bouche de Dante), par une conséquence qui ne manque d’analogie dans aucune histoire depuis la création du monde, aurait été séduite par l’allure de son cheval, la blancheur de son teint, et le tour galant de ses cheveux. Paolo avait évidemment ce qui plaît aux femmes, mais si pourtant on cherche sa trace dans les chroniques contemporaines, on en conclura que l’amant de Françoise était certainement une nature de condottiere, et que sa beauté, qui avait dû frapper ses contemporains, puisqu’il figure sous le nom de Paolo il Bello dans tous les récits du temps, n’était pas son seul privilège. Scipione Ammirato, l’historien des premiers Médicis, nous l’a montré mêlé aux choses du gouvernement et sans cesse occupé à commander les bandes de la république. En 1283, il est capitaine du peuple et conservateur de la paix à Florence) ; et ce n’est pas une nature efféminée que ces rudes Florentins du XVe siècle seraient allés chercher dans les Romagnes pour lui confier leurs compagnies de mercenaires. Le 1er février de cette même année, Paolo demande son congé et obtient licenza di andarsene a casa. Sa résidence habituelle, quand il n’occupe point la podesteria ou ne remplit point auprès de quelque état voisin son office de condottiere, c’est le Gattolo de Rimini, château fortifié qu’on détruira en 1445 pour construire le Castello. Sigismondo, qui subsiste encore. À Rimifii, il retrouve sa belle-sœur Françoise, laissée à la garde du vieux Verucchio, pendant que son mari commande à Pesaro comme podestat ; le drame va s’accomplir.

Cependant, le. beau Paolo est marié, lui aussi, voilà le trait fâcheux de l’histoire et la circonstance qu’on nous avait cachée. Il est né en 1252 ; à peine nubile, il a épousé Orabile, fille du comte de Chiaggiolo ; sa femme lui a donné un fils, Uberto ; puis bientôt une fille, Margherita. Françoise, de son côté, touche à la trentaine (elle