Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maintenue pendant cinquante ans ; il assure à notre frontière du Nord la garantie d’une nouvel état neutre. » Le gouvernement impérial, pour pallier ses fautes et se soustraire aux récriminations, ne reculait devant aucun argument ; il n’affirmait que pour se contredire, il condamnait le lendemain ce qu’il défendait la veille. Déjà il oubliait la circulaire La Valette pour revenir à la politique de M. de Talleyrand. Il s’était félicité naguère de la disparition des états secondaires, et aujourd’hui la création d’un petit état neutre sur une de nos frontières lui apparaissait comme un succès. Il avait refusé obstinément le Luxembourg tant que M. de Bismarck le lui offrait sur un plat d’argent, et, découvrant après coup qu’il était une menace pour sa sécurité, il le disputait à la Prusse le jour où elle n’avait plus intérêt à s’en dessaisir. Jamais le scepticisme que la science de gouverner les hommes inspirait au chancelier Oxenstiern n’avait trouvé une plus triste justification.

La communication du gouvernement fut accueillie par un silence glacial. Les partisans de la guerre étaient indignés, ceux de la paix consternés et les officieux réduits au silence. Tandis que la Prusse s’emparait de l’Allemagne, la France sortait des événemens sans un pouce de territoire ; la neutralisation du Luxembourg n’était certes pas de nature à nous consoler d’un tel résultat. Personne n’était satisfait, on sentait que la paix qu’on venait de signer n’était qu’une trêve grosse de nouvelles et infaillibles complications, que la situation restait la même avec ses problèmes et ses dangers. L’affaire du Luxembourg laissait derrière elle une profonde irritation : la France avait forcé la Prusse de sortir de sa forteresse, mais la Prusse l’avait empêchée d’y entrer. Il était difficile qu’on l’oubliât à Paris et à Berlin. Les défiances ne devaient plus s’effacer, la question de rivalité et de suprématie était posée entre les deux pays. « La question du Luxembourg est réglée aujourd’hui, écrivait-on de Francfort, à la date du 11 mai. Le dénoûment n’est certes pas tel qu’on le rêvait à Berlin. M. de Bismarck a retiré sans doute de cette rude campagne de réels profits pour sa politique allemande, mais, en découvrant malencontreusement son jeu, il a compromis pour toujours ses rapports avec la France. Nos illusions sont perdues aujourd’hui, il a éveillé nos défiances et nous a forcés de donner à nos arméniens une impulsion que rien ne saurait plus ralentir désormais. Il ne retrouvera plus jamais, il est permis de l’admettre, une France sans alliés uniquement préoccupée des œuvres de la paix… Les procédés courtois vont succéder maintenant aux menaces ; mais les visites royales et les propos du comte de Bismarck ne sauraient plus nous faire oublier le danger permanent dont nous sommes menacés depuis que le roi Guillaume peut, en vertu de sa réorganisation militaire, avec des approvisionnemens