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prendre et bon à garder. » La prise de possession du grand-duché dès le lendemain de Sadowa, comme entrée de jeu, à titre d’acompte, loin de préjuger les revendications ultérieures, n’aurait pu que les fortifier si, par le fait des changemens survenus en Allemagne, l’équilibre s’était trouvé rompu à notre détriment. Surpris par une crise redoutable qui, pour être conjurée, eût exigé dans ses conseils une communauté de sentimens et une unité d’action absolues, l’empereur s’était vu, à une de ces heures qui marquent dans les destinées d’un pays, soumis à des influences multiples, rivales, passionnées, les unes s’efforçant de l’entraîner vers l’Autriche, les autres préconisant une entente avec la Prusse. Au lieu d’intervenir et de s’appuyer soit sur le cabinet de Vienne, soit sur le cabinet de Berlin, ou, ce qui eût été plus sage, notre impuissance militaire étant constatée, au lieu de se rallier résolument à la Russie, qui réclamait un congrès et protestait contre les faits accomplis en Allemagne, il revendiquait le rôle ingrat de médiateur qui le condamnait à donner l’exemple du désintéressement et le forçait d’abdiquer toute revendication personnelle. Il perdait bénévolement le bénéfice des services qu’il avait rendus à la Prusse par son abstention en venant au quartier-général de Nikolsbourg lui marchander pour le compte d’autrui le prix de ses victoires, lui refuser la Saxe, l’objet de ses convoitises, lui défendre de porter atteinte à l’intégrité du territoire autrichien, lui imposer la ligne du Mein et celle du Slesvig. Il se condamnait à attendre la signature des préliminaires de la paix pour lui réclamer la rançon de ses succès et formuler, en invoquant une neutralité périmée, des demandes de compensation. Il rappelait tardivement à un ministre peu scrupuleux ses promesses après lui avoir révélé son impuissance militaire et ses défaillances morales. Mais déjà l’armée prussienne était réorganisée et l’Allemagne « mise en selle, » comme le disait M. de Bismarck, était maîtresse de ses destinées. L’hostilité de la France, loin d’être un obstacle, devenait désormais l’élément principal de sa politique ; nos jalousies mal dissimulées, nos revendications inopportunément formulées se trouvaient être pour l’accomplissement de l’œuvre unitaire le stimulant le plus précieux. Tout allait se retourner contre nous. L’interpellation de M. de Bennigsen réveillait et surexcitait les passions germaniques ; elle détournait de la Prusse, en un tour de main, les haines et les ressentimens que ses violences toutes récentes avaient laissés dans les cœurs allemands. Elle dégageait M. de Bismarck des engagemens personnels qu’il avait pris avec la France, elle lui permettait de se retrancher derrière un Non possumus parlementaire. Le Reichstag, malgré ses répugnances, sacrifiait ses prérogatives au gouvernement prussien pour le fortifier contre les convoitises de l’étranger ; il votait une