Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réalité, ou du moins s’il exerçait une influence quelconque dans les conseils du roi. Cette volte-face instantanée témoignait d’une rare discipline ; elle montrait que le gouvernement prussien ne disposait pas seulement pour la réalisation de ses desseins d’une armée admirablement organisée, mais qu’il avait aussi au service de sa politique extérieure un sentiment public, dont les manifestations tour à tour belliqueuses ou pacifiques ne s’inspiraient que de ses convenances.

La Correspondance provinciale, sans ménager les transitions, exaltait tout à coup la modération de la France ; elle rendait témoignage à son attitude à la conférence ; elle disait que le gouvernement impérial méritait de plus en plus l’estime et la confiance de l’Europe. Elle annonçait là visite du roi aux Tuileries, elle voyait dans la présence des souverains à Paris, à l’occasion de l’exposition universelle, la consécration de la paix qui venait de triompher à Londres. L’exposition universelle, dont le parlement du Nord avait salué l’ouverture par des cris de guerre, devenait tout à coup le grand événement du jour, le sujet des préoccupations les plus sympathiques. On allait partir pour Paris, non plus en guerre, pour le bombarder, l’affamer et le rançonner, mais pour en admirer les merveilles et y célébrer l’union et la fraternité des peuples.

Pour M. de Bismarck, la campagne si inopinément, si brutalement ouverte contre la France, était close. Personne n’avait lieu ni de triompher ni de se couvrir de cendres. La France renonçait à une conquête prématurément escomptée, et la Prusse sortait d’une forteresse qu’elle disait indispensable à sa défense et qu’elle avait déclaré ne pas vouloir évacuer. À vrai dire, il n’y avait ni vainqueur, ni vaincu. Aussi s’efforçait-on à démêler les arrière-pensées du cabinet de Berlin ; on se demandait quel avantage un politique aussi opportuniste que M. de Bismarck avait pu trouver à manquer à ses promesses, à s’aliéner du jour au lendemain et en quelque sorte de gaîté de cœur les sympathies et les complaisances du cabinet des Tuileries. La réponse était aisée ; comme toujours, il s’était inspiré des circonstances. Il était sincère lorsqu’à Paris et à Biarritz il nous offrait le Luxembourg comme prix de notre neutralité ; il l’était encore à Nikolsbourg, à la fin de juillet et même à Berlin à la fin du mois d’août 1866, lorsque, pour conjurer notre intervention, il nous le proposait à titre de dédommagement pour ses conquêtes. Mais au mois de décembre, après son retour de Varzin, son bon vouloir s’était altéré, ses promesses lui pesaient, il cherchait à les éluder et à nous décourager par les réticences de son langage et l’étrange té de son attitude ; sa sincérité n’était plus qu’intermittente, et vers la fin de mars il devenait évident qu’à la première occasion elle se laisserait déborder et entraîner par les passions nationales.

Cependant si, dès les premières ouvertures faites au cabinet de