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de chevaux en Hongrie pour le compte de la France ne discontinuent pas. » — « Je sais, ripostait aussitôt M. de Moustier, touché au vif par le procédé, dans une dépêche également non chiffrée adressée à M. Benedetti, que le gouvernement prussien, contrairement aux assurances de M. de Bismarck, poursuit ses mesures militaires de tout genre sur la plus vaste échelle et qu’il fait acheter des chevaux de tous côtés, en Hongrie, en Pologne et même en Irlande. » Le ministre français, à bout de patience, prenait à son tour l’offensive et retournait contre le gouvernement prussien les reproches dont il nous abreuvait. C’était une imprudence ; c’était perdre l’avantage du terrain sur lequel nous nous étions si heureusement retranchés ; c’était se découvrir et prêter le flanc à notre adversaire. M. de Moustier comprit à temps la faute qu’il venait de commettre ; il maîtrisa son indignation, se dégagea et rompit vivement en arrière en proclamant plus haut que jamais, par ses journaux et par sa diplomatie, sans s’arrêter aux clameurs prussiennes, les sentimens pacifiques de la France. Mais il avait beau insérer au Moniteur les communiqués les plus tranquillisans et manifester au sein de la conférence les dispositions les plus conciliantes, les agens prussiens n’en continuaient pas moins à faire partout grand tapage de nos préparatifs militaires et à nous prêter les plus noirs desseins. À les entendre, il ne restait plus à l’Allemagne, menacée d’une agression imminente, qu’à pourvoir sans délais à sa légitime défense.

« Il existe en France deux courans, disait M. de Bismarck à M. Benedetti, l’un diplomatique qui offre de sérieuses garanties ; l’autre militaire, qui pousse à la guerre. Les renseignemens envoyés par M. de Bernsdorff, sur les premières séances de la conférence, témoignent assurément des intentions pacifiques du gouvernement de l’empereur, mais les informations recueillies par l’état-major général démontrent que les préparatifs de la France excèdent les besoins de sa défense. » M. de Bismarck énumérait, sans en oublier une seule toutes les mesures prises par le maréchal Niel. C’était l’ouverture anticipée du camp de Châlons et le doublement de son effectif, l’armement de nos places fortes, l’achat de chevaux en Autriche, en Suisse et en Italie, la réunion d’un immense parc d’artillerie et de pontonniers à Metz, l’envoi de chaloupes canonnières à Strasbourg, la convocation des réserves de 1864 et 1865, le maintien sous les drapeaux de la classe de 1860. Il affirmait que la Prusse n’avait encore fait aucun préparatif et qu’elle n’aurait que le 8e corps d’armée à nous opposer, s’il nous plaisait de jeter inopinément cent cinquante mille hommes soit dans le midi de l’Allemagne, soit sur les Provinces Rhénanes. Ces affirmations ne cadraient guère