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arrière-pensées de M. de Beust. Il craignait, à en juger par les rapports de M. de Wimpfen, que la diplomatie autrichienne ne voulût profiter de l’occasion pour mettre sur le tapis le traité de Prague et lui obtenir une garantie européenne[1]. Il se souciait peu de rendre compte du passé et encore moins d’enchaîner l’avenir.

Lord Stanley était un esprit timide, mais net et précis ; il lui répugnait d’ouvrir et de présider une conférence dont le succès n’eût pas été en quelque sorte certain. Il se méfiait des arrière-pensées de la diplomatie prussienne ; il était convaincu que M. de Bismarck, en prévision d’une guerre avec la France, tenait à engager l’Angleterre et à s’assurer son concours armé pour la défense du Luxembourg. Il disait qu’il n’y consentirait jamais, qu’il n’entendait pas promettre, même collectivement, ce qu’il n’avait pas l’intention de tenir. Il ne niait pas que la neutralisation n’entraînât la garantie, mais il soutenait que cette garantie n’impliquait pas nécessairement des mesures coercitives ; il croyait que les actes de 1839, couvrant la neutralité belge, devaient suffire. Il était prêt du reste à accepter toutes les rédactions, sous la réserve toutefois que, dans aucune éventualité, elles n’entraîneraient l’Angleterre à l’obligation de prendre les armes. L’attitude du ministère anglais exaspérait la diplomatie prussienne. M. de Bernsdorff reprochait à lord Stanley sa partialité pour la France, et il donnait à entendre que, s’il persistait à se montrer si mal disposé pour la Prusse, on pourrait bien s’arranger à La Haye sans l’Angleterre ; M. de Bismarck, de son côté, tirait des réserves formulées par lord Stanley d’étranges conclusions. Il insinuait à M. de Wimpfen que le gouvernement anglais, loin de se consacrer à la réconciliation de la France et de la Prusse, ne cherchait au contraire qu’à les brouiller. C’était peu vraisemblable, mais c’était jeter la discorde dans le camp des puissances. La presse officieuse reflétait l’irritation que l’obstination du cabinet de Londres causait à Berlin. « La politique des tories est misérable, disait-elle ; le langage de lord Stanley est ce qu’on peut imaginer de plus indigne. Nous ne l’oublierons pas, et lorsque la douzième heure aura sonné pour l’Angleterre, nous lui dirons à la manière anglaise que les jeunes lords n’ont qu’à s’organiser en milices pour se défendre. »

L’œuvre si laborieusement poursuivie par les cours médiatrices allait avorter devant les exigences de la Prusse et le refus obstiné de l’Angleterre. On était arrivé au 7 mai, jour fixé pour l’ouverture de la conférence, et à dix heures du matin, au moment où on allait se réunir, M. de Bernsdorff annonçait par un billet au ministre des

  1. Dépêche du comte de Wimpfen, 28 avril : « M. de Bismarck, n’envisage pas sans crainte la possibilité que nous évoquions à Londres le traité de Prague. »