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eux, arrêté et interrogé, avouait avoir prêté serment de l’assassiner entre les mains du and-duc en personne et en présence du conseil aulique. Personne ajouta la moindre foi à cette ridicule calomnie mais le prétexte fut suffisant pour exercer une terreur salutaire en châtiant du dernier supplice tous ceux qui tenteraient même l’ombre d’une résistance. Enfin pour montrer qu’il ne craignait personne il fit arrêter dans son palais et retenir en prison l’archevêque de Breslau, le cardinal Zinzendorf, frère du ministre principal de Marie-Thérèse, qu’il accusait d’être resté en intelligence avec ses anciens maîtres[1].

Il parlait pourtant de ces attaques avec moins de dédain dans ses lettres confidentielles. Celle-ci, écrite à cette date même à Podewils respire une exaltation que le sentiment seul d’un danger pressant pouvait faire naître. « Cara anima mia, non disperar… Vainquons ces difficultés et nous triompherons. Il n’y a point de lauriers poulies paresseux, la gloire les donne aux plus laborieux et aux plus intrépides. Par parenthèse, j’ai échappé deux fois aux desseins des hussards d’Autriche. Si malheur m’arrivait d’être pris vif, je vous ordonne absolument, et vous m’en répondrez sur votre tête, qu’en mon absence vous ne respecterez point mes ordres, que vous servirez de conseil à mon frère et que l’état ne fera aucune action indigne pour ma liberté. Au contraire, en ce cas, je veux et j’ordonne qu’on agisse plus vivement que jamais. Je ne suis roi que lorsque je suis libre. Si l’on me tue, je veux qu’on brûle mon corps à la romaine et que l’on m’enterre de même dans une urne à Rheinsberg. Knobelsdorf doit en ce cas me faire un monument comme celui d’Horace à Tusculum[2]. »

À ces précautions héroïques en était jointe une autre moins sinistre, destinée à pourvoir à une éventualité moins funeste. Le ministre de France recevait l’avis qu’il était autorisé à venir au camp informer le roi des dernières intentions de sa cour. Décidément, il fallait choisir, et le moment de recourir au pis-aller paraissait venu[3].

Valori ne se le fit pas répéter deux fois, et, arrivé tout courant au quartier-général de Schweinitz, il y trouva pour le coup toutes les portes ouvertes. Il n’eut pas plus tôt expliqué les offres nouvelles qu’il était autorisé à faire, que Frédéric, le laissant à peine achever, se jeta ou peu s’en faut dans ses bras : « Mais avec quelle bonne grâce, s’écria-t-il, le roi se prête à me faire plaisir ! Il peut compter

  1. Droysen, t. I, p. 216-217. — D’Arneth, t. I, p. 155, 384, 385.
  2. Pol. Cor., t. I, p. 202, 203. Frédéric à Podewils, 4 et 5 mars 1741.
  3. Ibid., p. 203. Frédéric à Valori, 11 mars 1741.