Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/519

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les deux souverains s’engageaient à unir leurs conseils et à agir dans l’union la plus intime pour porter au trône impérial le prince qui serait le plus propre à maintenir les libertés et prérogatives des princes de l’empire. En suite de quoi Sa Majesté Très Chrétienne ne s’opposerait pas à ce que le roi de Prusse usât des droits qu’il pouvait avoir sur tout ou partie de la Silésie, mais à condition que, de son côté, le roi ne mettrait aucun obstacle à une juste satisfaction de la maison de Bavière sur les droits qu’elle pourrait avoir aussi sur les états autrichiens.

D’envoi de troupes et d’intervention armée, il n’était pas encore question. Bien que la conséquence fût évidente, et par suite la promesse implicite, Fleury hésitait à l’articuler. Chaque mot, en vérité, semblait lui être arraché de la bouche. C’est ainsi qu’au même moment, répondant à l’électeur de Bavière, qui criait misère et insistait pour obtenir tout de suite quelques subsides, il ne craignit pas d’excuser la parcimonie d’un premier envoi en alléguant que, par suite de deux mauvaises récoltes qui avaient exigé des distributions d’aumônes extraordinaires, le trésor français en était réduit aux expédiens. « C’est une confession que je fais à Votre Altesse Sérénissime, ajoutait-il en le suppliant pour l’honneur du roi de la garder secrète. Le roi ne saurait lui donner une plus grande marque de confiance qu’un tel aveu[1]. »

Si, par ces réserves embarrassées et ces subterfuges sans dignité, Fleury espérait encore éviter un engagement définitif et se ménager une porte de retraite, il se trompait grandement et n’avait pas compris à quel génie il avait affaire. Par le seul fait que la politique française se laissait entraîner, je ne dis pas à prendre un parti, mais seulement à exprimer un vœu dans les affaires d’Allemagne, elle assurait à Frédéric un avantage que l’audace calculée du jeune ambitieux avait peut-être prévu et dont, en tout cas, il n’était pas homme à user à moitié. La veille, il n’était encore qu’un aventurier au ban de toute la société diplomatique. La seule apparition de la France sur le territoire germanique lui offrait un rôle important, peut-être décisif, à jouer dans un grand conflit européen.

Il fallait bien s’attendre, en effet, que la prétention de la France à disposer de la couronne impériale pour un de ses cliens ne laisserait personne indifférent en Europe. Cette tentative, qui n’allait à rien moins qu’à modifier à son profit toutes les conditions d’équilibre reconnues par le traité de Westphalie et rétablies par le traité d’Utrecht, devait réveiller partout contre elle les rivalités que la

  1. Fleury à l’électeur de Bavière, 17 décembre 1741. (Correspondance de Bavière, ministère des affaires étrangères.)