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Ainsi Frédéric avait dit : « M. le cardinal veut-il de moi ? Voici le temps qu’il faut que je le sache. » Le cardinal répond : « Oui, oui, et tout à l’heure. » — « Ma voix à la diète est encore à louer. » Réponse : « Le roi la retient et donne pour arrhes l’invitation que Sa Majesté fait de procéder à un traité d’alliance. » — « Quand nous nous serons chamaillés un peu, l’Autriche et moi, avait encore dit Frédéric, M. le cardinal interviendra comme modérateur. N’est-ce pas là un personnage de son goût ? » Réponse : « M. le cardinal convient de son goût pour le personnage que le roi de Prusse lui réserve, mais il faut que Sa Majesté convienne de son côté que, pour que M. le cardinal puisse remplir ce personnage dignement, Son Éminence doit avoir eu à prononcer un jugement qui ne laisse ni l’esprit ni le cœur de toute l’Europe et de l’Allemagne envenimés contre la France. »

Le dialogue se termine par cet échange de répliques piquantes. Frédéric : « C’est un abus de croire que tout ceci se passera sans coup d’épée. » Le cardinal : « Le ministre du roi convient que ce serait difficile. » Frédéric : « C’est donc aux jeunes gens à entrer les premiers en danse. » Le cardinal : « Cela est vrai ; mais comme le bal est principalement pour eux, il faut qu’après avoir pris une satisfaction convenable, ils ne laissent pas les autres finir la fête et exposés aux murmures de ceux qui ont à payer les violons[1]. »

La crainte assez naturelle et, comme on verra, trop bien fondée d’être laissé seul dans la danse et d’avoir en définitive à payer les violons se fait jour sous une forme plus polie dans la lettre officielle par laquelle le ministre Amelot transmit à Berlin l’adhésion au projet d’alliance : « Sa Majesté, disait le ministre, souhaite très sincèrement, pour l’intérêt du prince, que son entreprise réussisse et, pour sa réputation, qu’il se hâte de la justifier. Des cours plus soupçonneuses que la nôtre hésiteraient à s’expliquer… L’envoi d’une personne aussi considérable que le comte de Gotter à Vienne semblerait indiquer une double négociation. On dit publiquement dans cette cour que ce ministre a offert au grand-duc d’entrer dans toutes ses vues sans exception s’il voulait reconnaître le droit du roi son maître sur la Silésie. Mais Sa Majesté n’ajoute aucune foi à ces bruits : elle a une confiance entière dans le roi de Prusse, et elle lui en donne une preuve certaine en lui offrant dès à présent de s’allier à lui[2]. »

Suivait un projet d’alliance rédigé en plusieurs articles, par lequel

  1. Cette pièce se trouve dans la Correspondance officielle de Prusse, sans date, mais entre le 15 décembre 1740 et le 1er janvier suivant.
  2. Amelot à Valori, 6 janvier 1741. (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères.)