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de deux ans seulement plus jeune que celui de France, se jetait, à peine couronné, dans une mêlée guerrière sans dire, peut-être même sans savoir pourquoi. L’entraînement des souvenirs, aidé de l’émulation d’un tel exemple, parut alors tout à fait irrésistible. Seulement personne ne pensa que le cardinal pût s’y associer. Entre le vieux pédagogue, qui, tout le long du jour, tenait encore le roi en tutelle, et les nouveaux conseillers, dont les jeunes visages l’attendaient le soir dans des cabinets particuliers, il y avait, semblait-il, incompatibilité d’humeur encore plus que d’âge et de profession. Comment, d’ailleurs, eût-on proposé sans sourire à un vieillard, presque à un cadavre, de tenter une grande aventure ? Il fut donc arrêté, dans tous les conciliabules guerriers, que l’heure de la retraite avait sonné pour une domination sénile qui n’avait que trop duré, et si la vieillesse était sourde à la voix des événemens, on se chargeait de le lui faire entendre. Un mot courut à Versailles, un de ces mots par lesquels le public français excelle à peindre une situation et à achever un homme, et que tout le monde répète parce que chacun croit l’avoir inventé : « C’était un cardinal, dit-on, qui avait frappé à mort la maison d’Autriche, un autre cardinal, si on le laissait faire, allait la ressusciter. » Quant au successeur à trouver, le roi, ajoutait-on, n’avait que l’embarras du choix. Voulait-il un homme de cabinet, un politique éprouvé et rompu aux affaires ? Il n’avait qu’à rappeler de l’exil le marquis de Chauvelin, naguère encore chargé par Fleury lui-même du ministère des affaires étrangères et que son jaloux collègue n’avait éloigné que pour ne pas partager avec lui l’honneur des dernières négociations. Préférait-il un homme d’action autant que de conseil, propre à faire un général en chef aussi bien qu’un premier ministre et à exécuter de grands desseins après les avoir conçus ? Un nom était sur toutes les lèvres : c’était celui de Charles-Louis Fouquet, comte de Belle-Isle.

Celui-là, pour devenir l’idole de la jeunesse, n’était pourtant pas bien jeune lui-même. Né en 1684, il n’avait pas moins de cinquante-six ans. Mais la disgrâce, en retardant sa fortune, lui avait conservé dans cette maturité de la vie qui touche au déclin le charme de l’espérance et le prestige de l’inconnu. Il y avait dans son existence comme dans sa personne je ne sais quoi d’aventureux qui tranchait avec la monotonie des habitudes de Versailles. A distance même, et pour l’histoire, sa physionomie est presque la seule qui se détache sur le fond uniforme de la société politique d’alors. L’originalité est en général ce qu’on cherche en vain dans cette société brisée par le pouvoir absolu. Telle que la main pesante de Louis XIV avait fait la France, quiconque prétendait à s’y élever savait d’avance à quel moule il devait assujettir son caractère et quelle voie devait suivre sa destinée. On appartenait par la naissance soit à une noblesse