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Et je ne conçois pas que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux ?

Bien des gens même de nos jours rediraient encore des couplets sur cet air si la mode de chanter n’était passée. Mais tout le monde chantait à Versailles, et nous avons pu connaître de vieilles dames de l’ancienne cour, ayant mené une vie irréprochable et la finissant toute en Dieu, qui avaient pourtant la mémoire encore garnie de ces refrains joyeux et guerriers et qui parlaient des écarts de la vaillante jeunesse de leur temps avec quelque chose de plus que de l’indulgence. Bref, dès que le roi était émancipé de son ménage et de son confesseur, il fut entendu que rien ne l’empêcherait plus de courir à la gloire.

Il ne s’agissait que de l’y pousser ; et c’est de quoi se chargèrent volontiers les influences dont la séduction l’ayant initié au goût des plaisirs paraissait propre à lui inspirer aussi l’ardeur des combats. Deux femmes présidaient ensemble au cercle des nouvelles intimités royales : c’étaient deux sœurs, filles d’une maison très noble, mais un peu déchue, celle de Nesle ; l’une, Mlle de Mailly, la première que le roi eût honorée publiquement de sa faveur ; l’autre, Mme de Vintimille, moins belle, mais plus piquante que son aînée et qu’on accusait assez généralement de vouloir la supplanter. Les deux dames vivaient pourtant dans une intimité sans nuage. Elles entrèrent avec passion dans les plans de campagne qui montaient autour d’elles toutes les jeunes têtes. Une tradition poétique et romanesque les autorisait à se faire d’avance une part dans les exploits futurs du souverain. N’était-ce pas Agnès qui avait éveillé Charles VII de son sommeil et sauvé la France de sa ruine ? Gabrielle n’avait-elle pas reçu les tendres adieux du vainqueur de Coutras ? Comment oublier aussi La Vallière et Montespan, majestueusement promenées dans les plaines de Flandre en vue des citadelles assiégées ou soumises, puis ramenées le lendemain en reines dans les fêtes de la victoire,

Dansant avecque lui sous des berceaux de fleurs,
Et du Rhin subjugué couronnant les vainqueurs !

Pourquoi ces jours brillans ne pourraient-ils pas renaître ? Le nouveau Louis était-il moins brave, moins beau que son aïeul ? Était-il moins fait pour vaincre et pour être aimé ? Que lui manquerait-il pour enflammer tous les cœurs quand ses traits, d’une régularité encore un peu froide, seraient animés par les feux de la gloire et de l’amour ?

On parlait déjà ainsi quand on apprit que le nouveau roi de Prusse,