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Louis XIV lui-même, dans toute sa superbe, quel rêve plus orgueilleux aurait-il pu former que de voir la petite nièce de Charles-Quint devenue la pupille de son petit-fils, réclamant pour toute faveur le maintien de l’équilibre établi par les traités de Westphalie et d’Utrecht, ces deux œuvres diplomatiques dont l’une avait inauguré et l’autre couronné son règne ?

Envisagée de ce point de vue, la pragmatique sanction, qui garantissait le statu quo territorial de l’Europe, loin de détruire ou d’ébranler les résultats de notre politique séculaire, en était la confirmation, presque la consécration définitive. Cette vérité ne fut pas appréciée, peut-être pas même aperçue, dans les conseils de Louis XV. En tous cas, elle n’y fut pas présentée avec l’autorité qu’un jugement éclairé par la suite des faits peut aujourd’hui lui reconnaître. Il y eut bien un débat entre Fleury et ses collègues, mais il ne s’éleva pas à ces hauteurs. Fleury, tenant avant tout à rester en paix et à laisser courir les événemens, fit valoir de mesquines considérations d’économie : la détresse du trésor accrue par les rigueurs de la saison dans les dernières années, la désorganisation de l’armée, mal remise des pertes de la dernière guerre, la fatigue et l’épuisement général du pays. Le ministre des affaires étrangères, Amelot, et Maurepas, ministre de la marine, partisans d’une politique plus active, répondirent à ces raisons par d’autres aussi pauvres, — tirées de traditions qu’ils ne comprenaient pas et de précédens sans application, — telles qu’en peuvent trouver des esprits courts qui ne savent pas sortir d’une ornière. On ne sait qui l’eût emporté, et de l’inertie ou de la routine, ces deux forces également aveugles, laquelle aurait prévalu si une action plus vive et pour ainsi parler plus jeune ne fût venue à la traverse.

En tout temps, et dans les affaires publiques comme dans la vie privé, la jeunesse se plaît, on le sait, à déjouer les calculs de l’expérience. C’est une force assez mal réglée dont les vieux politiques, qu’elle dérange, ont le tort de ne jamais tenir assez de compte. Même dans nos foules démocratiques, les instincts, les désirs de chaque génération nouvelle viennent presque périodiquement troubler le corps social et opèrent comme un levain qui fait fermenter toute la masse. Mais c’était bien autre chose dans le cercle étroit de Versailles. Là, dans ces quelques pieds carrés où se décidait la destinée d’un grand peuple, toute action se multipliait au centuple par elle-même. Là vivait, parlait et remuait tout le long du jour une jeune noblesse, ardente et désœuvrée, se mêlant de tout, précisément parce qu’elle n’avait rien à faire, l’esprit d’autant plus prompt à la critique qu’il était plus léger de réflexions et plus vide de connaissances, et entre les petits levers et les petits couchers, les messes et les chasses royales, les voyages de cour, les parties de