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lui-même par les glaces de l’âge insensible aux passions du cœur, mais qui n’avait que mieux appris par là même à en faire jouer tous les ressorts.

La France avait donc le choix entre un acte de désintéressement un peu idéal et un calcul d’une honnêteté moyenne et suffisante. Hors de là, il ne lui restait plus qu’un parti à prendre : c’était de violer tous ses engagemens, sans provocation comme sans prétexte, et de se jeter tête baissée dans les hasards d’une agression continentale, à la veille d’une guerre maritime déjà presque allumée, le tout pour l’honneur d’un prétendant sans troupes comme l’électeur de Bavière et en compagnie d’un allié sans foi comme l’envahisseur de la Silésie. Cette conduite avait la singulière fortune de réunir tous les torts à tous les périls et le comble de l’imprudence à l’excès de la déloyauté. Ce fut pourtant ce troisième parti qu’après réflexion la politique française embrassa.

La cause principale et la seule excuse de cette erreur coupable dont les conséquences durent encore, ce fut l’influence exercée par le souvenir de la longue lutte qui était engagée depuis des siècles entre les maisons de France et d’Autriche. L’abaissement de la maison d’Autriche était le but politique poursuivi depuis François Ier jusqu’à Louis XIV par tous les souverains dignes de la France et tous les ministres qui avaient bien mérité de leurs maîtres. Les plus illustres capitaines avaient payé de leur sang sur les champs de bataille l’exécution persévérante de ce grand dessein. Richelieu, Mazarin, Condé, Turenne et Villars demeuraient grands dans la mémoire de leurs compatriotes par les coups qu’ils avaient portés à la prépondérance impériale. Rompre avec une tradition dans laquelle étaient nourris, dont demeuraient, pour ainsi dire, imprégnés tous ceux qui portaient la parole ou les armes au nom de la France, depuis l’ambassadeur jusqu’au moindre agent diplomatique, depuis le général à la tête de son armée jusqu’au plus humble ingénieur fortifiant une citadelle, en tout temps c’eût été une tentative difficile à faire admettre et même comprendre. Mais le jour où une chance imprévue permettait de porter à l’ennemi héréditaire un coup qui pouvait l’écraser, lui tendre la main, au contraire, et le relever, c’était, semblait, pour le roi de France résister à l’appel de la Providence et offenser les mânes de ses ancêtres.

Ainsi raisonnaient même des sages : ils n’avaient qu’un tort, c’était de ne pas réfléchir que précisément parce que cette politique avait rempli deux siècles de travaux et de gloire, ayant atteint son but, elle avait fait son temps. Le plus grand hommage, au contraire, que Louis XV put rendre à ses prédécesseurs, c’était de reconnaître (comme doit le faire aujourd’hui l’histoire) qu’ils avaient conduit les revendications de la France contre l’Autriche à ce point où, l’œuvre