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infidèle à aucune de ses promesses, éviter de s’expliquer sur les moyens de les remplir jusqu’au jour où la nécessité aurait réduit la fille de Charles VI à invoquer le secours de ses alliés. Ce jour-là, personne ne pouvait trouver mauvais qu’avant de se mettre en frais et en campagne, il stipulât en faveur de ses peuples une compensation proportionnée aux sacrifices qu’il leur aurait imposés ou aux périls qu’il leur aurait fait courir pour la défense de la cause impériale.

L’occasion, on l’a vu, n’aurait pas tardé : la brusque invasion de la Silésie mettait la bonne foi d’un des garans de la pragmatique dans un contraste avantageux avec la perfidie de l’autre, et comme rien n’est tout à fait gratuit en politique, on pouvait assez raisonnablement demander à l’Autriche de payer la loyauté d’un fidèle ami d’un prix que la comparaison seule aurait fait paraître modéré. Une telle ligne de conduite eût été d’ailleurs la suite naturelle de celle qui avait été sagement suivie par les conventions de 1735. En permettant à Marie-Thérèse de choisir l’époux de ses préférences, Fleury, en 1735, avait obtenu avec la cession de la Lorraine l’avantage d’assurer la continuité de notre territoire du côté de l’est jusqu’à la forte barrière des Vosges. En favorisant, en 1740, l’élévation de cet époux bien-aimé à la dignité impériale, le même Fleury pouvait se proposer d’obtenir quelque concession analogue, quelque démembrement des Pays-Bas ou du Luxembourg, qui aurait reculé notre frontière septentrionale en la rapprochant du Rhin. La suite fera voir que Marie-Thérèse aurait consenti sans trop de peine à un sacrifice, même assez étendu, de cette nature. Et de fait, à un agresseur insolent comme Frédéric, qui visait au cœur même de son empire, comment n’aurait-elle pas préféré un honnête allié qui ne lui aurait demandé pour courir à son aide que l’abandon éventuel d’un lambeau détaché de ses possessions lointaines ? Mais ce lambeau, sans prix pour elle, serait venu compléter heureusement la défense et l’unité de notre sol national.

C’étaient là sans doute les chances qu’entrevoyait Louis XV et qu’il conseillait d’attendre, aidé d’ailleurs dans ses prévisions et dans sa patience par son inertie naturelle. La perspective devait convenir mieux encore à son vieux ministre, qui avait naturellement, comme je l’ai dit, le goût de la politique expectante et l’avait même déjà poussé jusqu’à l’excès regrettable de favoriser par ses indécisions les espérances de la Bavière et l’audace de la Prusse. Le moins qu’il pût se proposer, c’était de tirer adroitement parti d’une situation qu’il avait contribué à créer. Caresser d’abord, puis mettre à profit les affections et la fierté blessée d’une jeune femme, c’était un jeu qui paraissait fait tout exprès pour un octogénaire rendu