Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

salut de la maison d’Autriche, et dans l’autre pour Votre Majesté la couronne impériale. Les trésors du roi mon maître sont au service de la reine, il lui apporte aussi le concours de ses alliés, l’Angleterre, la Hollande et la Russie. En récompense de telles offres et en dédommagement du péril qu’elles lui l’ont courir, il demande toute la Silésie, mais rien de moins. La résolution du roi est inébranlable : il veut, il peut s’emparer de la Silésie, et si elle ne lui est pas offerte de bonne grâce, ces mêmes troupes et ces mêmes trésors seront donnés à la Saxe et à la Bavière, qui les sollicitent. » Rien n’était plus faux, puisque ni Saxe ni Bavière n’avait encore fait l’ombre d’une proposition. Mais peut-être Gotter était-il dupe lui-même des mensonges de son maître. La réponse du grand-duc fut calme et fière. « La reine, dit-il, n’a ni le droit ni le pouvoir de céder une parcelle du territoire qu’elle n’a reçu qu’à la condition de le maintenir indivisible. Elle n’est point réduite à ce point de désespoir de se jeter dans les bras d’un prince qui entre en ennemi dans ses états, et quelque mal que le roi de Prusse puisse lui faire, nous avons encore l’espérance qu’il s’en fera plus à lui-même. — S’il en est ainsi, reprit Gotter, je n’ai rien à faire ici et je puis m’en retourner. » Le grand-duc reprit la parole pour lui demander catégoriquement, par oui ou par non, si les troupes prussiennes étaient déjà à l’heure qu’il est sur le sol de la Silésie. « Elles doivent y être, répondit l’envoyé. — Retournez donc auprès de votre maître et dites-lui que, tant qu’il laissera un homme sur le territoire de la province, nous périrons plutôt que de traiter avec lui. Mais s’il peut encore s’arrêter, ou s’il veut reculer, nous voulons bien négocier avec lui à Berlin. Botta a déjà des instructions dans ce sens,.. et quant à moi, ni pour la couronne impériale, ni pour le monde entier, je ne sacrifierai ni un seul des droits de la reine ni un pouce de son domaine légitime et héréditaire. »

Gotter, intimidé par cette attitude, baissa un peu le ton. « Il n’est pas sérieux, reprit-il, de demander au roi de reculer dans une entreprise déjà si avancée. — Quand une entreprise est manifestement injuste, continua le grand-duc, il est plus honorable aux yeux du monde d’y renoncer que de s’y obstiner. Mais si le roi a besoin d’un motif pour retirer ses troupes, il peut dire qu’il avait eu pour but, en les faisant avancer, de défendre la reine contre les attaques de la Bavière et qu’il a reconnu que ce secours n’était pas nécessaire. » Devant cette ouverture qui, en réalité, n’en était pas une, mais qui avait l’avantage d’éviter un éclat immédiat, Gotter réfléchit un instant, puis comme s’il accordait une grâce qu’on ne lui demandait pas, il consentit à écrire à Frédéric et à attendre sa réponse[1].

  1. D’Arneth, t. I, p. 75 et suiv.