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des avantages encore plus marqués. Les démocrates, les socialistes, à leur tour, ont eu quelques victoires et viennent de conquérir quelques nouveaux sièges dans le dernier ballottage. Enfin le groupe le plus compact, qui n’a pas beaucoup gagné numériquement, il est vrai, mais qui n’a rien perdu et qui garde toute sa force, c’est le centre catholique, habilement conduit par M. Windthorst. Le centre est toujours le plus gros bataillon, il compte plus de 100 membres, 110 membres à peu près, marchant d’un même pas : de sorte qu’au lendemain de ces élections, dans cette mêlée ou cette confusion de partis, M. de Bismarck peut se trouver réellement assez embarrassé. Il a même été atteint personnellement dans son fils, qui n’a pas pu se faire élire à Mulhausen, et, chose plus bizarre, M. de Moltke, malgré le prestige de sa glorieuse vieillesse, n’a pas moins échoué à Essen. L’aventure est assurément étrange et un peu imprévue.

Est-ce à dire que ces jeux de scrutin puissent avoir en Allemagne toute la portée qu’ils auraient dans un pays comme l’Angleterre, et que M. de Bismarck, dans un moment d’ennui superbe ou d’irritation, ait songé à se retirer devant cette manifestation d’opinion ? On l’a dit, sous le coup des élections on a exhumé ce fantôme de la démission de M. de Bismarck, et ce ne serait pas la première fois que le chancelier aurait menacé d’abdiquer. Il a répété assez souvent qu’il se sentait excédé des embarras qu’on lui créait ; mais il n’y a pas longtemps encore, il disait aussi « qu’un brave cheval devait mourir sous le harnais, » qu’on n’aurait pas raison de lui. Il n’a jamais caché qu’il cherchait sa force dans la confiance de l’empereur, et cette confiance n’est pas près de lui manquer. Il sait bien qu’il n’est pas un ministre soumis aux variations de la fortune parlementaire, qu’après avoir été le principal ouvrier de l’unité de l’empire, il en reste le gardien, comme M. de Moltke, en dépit des votes d’Essen, est destiné sans doute à rester jusqu’à sa dernière heure le major-général de l’armée allemande. Cette opposition qu’il rencontre d’ailleurs n’atteint pas en lui le représentant de l’empire, le chef de la diplomatie allemande ; elle n’atteint qu’une partie de sa politique intérieure, et il en sera quitte pour déployer une fois de plus ses talens stratégiques dans l’intérêt de ses projets économiques, de son monopole du tabac, de ses i assurances ouvrières, de son socialisme d’état. Ce ne sera pas à la vérité très facile, même pour un chancelier d’Allemagne ; mais il est bien de force à se tirer d’affaire. La question pour lui est de savoir comment il arrivera à se faire une majorité telle quelle, dont il ne lui est pas possible après tout de se passer. Avec ceux qui seraient disposés à le suivre en tout et partout, il n’aurait qu’une minorité qui ne le conduirait à rien si ce n’est à des défaites de tous les jours. Il ne peut pas se tourner de nouveau vers les libéraux avancés, aller jusqu’aux progressistes : les progressistes ont le privilège d’exciter particulièrement ses irritations ; il les