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financière et de lancer la France dans la plus ruineuse des aventures. Il est certain qu’avec tout cela le programme est complet. Ébranler les institutions, provoquer les croyances religieuses, menacer la magistrature et l’enseignement sous prétexte de réformes, troubler tous les intérêts engagés dans les chemins de fer, c’est ce qui s’appelle bien commencer et se donner la tâche d’un « grand ministère. » Il faut bien faire quelque chose pour ses amis, dira M. Gambetta ; on ne peut avoir qu’à ce prix une majorité. Aura-t-il, comme il le croit, une majorité pour suivre cette politique, pour soutenir le ministère qu’il paraît disposé jusqu’ici à offrir au parlement et au pays ? C’est ce qui est fort douteux ; mais ce qui est clair dès aujourd’hui, c’est que, si M. Gambetta veut aller jusqu’au bout des projets qu’on lui prête, il peut s’attendre à des luttes où il trouvera bientôt devant lui la France elle-même.

Le monde d’aujourd’hui marche laborieusement à travers tous ces incidens qui s’appellent des élections, des crises ministérielles, des évolutions d’alliances, des entrevues princières et qui ressemblent parfois à des énigmes, qui peuvent prendre du moins un tour assez imprévu. Quel est décidément le caractère général, quelles seront les conséquences des élections qui viennent de s’accomplir en Allemagne pour le renouvellement du Reichstag ? Que va faire ce parlement élu d’hier et appelé à se réunir à courte échéance, d’ici à trois ou quatre jours ? Évidemment, sans parler de l’Alsace-Lorraine, qui reste une région à part dans l’empire et où les résultats du scrutin sont aussi nets que possible, les élections récentes de l’Allemagne ont dans leur ensemble une assez sérieuse signification. Elles révèlent, au milieu d’une certaine confusion si l’on veut, des déplacemens d’opinion, des antagonismes, des velléités de résistance et d’opposition qui peuvent préparer au gouvernement, au chancelier qui représente le gouvernement, de singulières difficultés parlementaires.

On a beau être un tout-puissant, un rabroueur de parlement, il faut s’entendre avec quelqu’un, il faut avoir un point d’appui, et c’est là justement la difficulté dans le nouveau Reichstag. En réalité, dans cette chaude bataille qui vient de se livrer, les opinions moyennes, avec lesquelles il est toujours plus facile de nouer alliance, sont les plus maltraitées. Les vieux-conservateurs et les conservateurs-libéraux, qui forment un bataillon toujours à la disposition de M. de Bismarck, reviennent moins nombreux qu’ils ne l’étaient dans le dernier parlement. Les nationaux-libéraux qui, sous l’inspiration et la direction de M. de Bennigsen, sont restés fidèles au chancelier, ont essuyé une véritable défaite ; ils sortent de la lutte singulièrement diminués. En revanche, les nationaux-libéraux dissidens, qui marchent avec M. de Forckenbeck, M. Lasker, qui ont fait acte d’opposition, se sont fortifiés ; ils ont gagné un certain nombre de sièges. Les progressistes et, à leur tête M. Richter, ont obtenu