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laissent pas d’être un premier signe des contradictions de son esprit, des embarras bien autrement graves qu’il se prépare lui-même, selon toute apparence, dans le gouvernement et dans le parlement.

Ce qui est certain, c’est que, si le résultat définitif n’est plus forcément désormais que l’affaire de quelques heures, il y a déjà des indices qui laisseraient prévoir que ce ministère nouveau, fait plus que jamais sous une inspiration de parti, pourrait bien ouvrir pour le pays une ère laborieuse, agitée, et singulièrement dangereuse. Ainsi il n’est point douteux qu’au premier moment, M. Gambetta a eu la pensée d’offrir le ministère des finances à M. Léon Say, et il n’est point douteux non plus que l’accord a été impossible, que M. le président du sénat, en financier expérimenté et éclairé, a refusé d’entrer dans un cabinet arrivant aux affaires avec l’idée de soulever les problèmes les plus graves, notamment celui du rachat des chemins de fer. Il est également admis qu’un instant, M. de Freycinet, qui est tombé l’an dernier devant l’influence de M. Gambetta, a dû entrer dans le cabinet, aux affaires étrangères, et qu’il aurait cessé depuis de figurer parmi les ministres éventuels pour rester fidèle à ses opinions. Si M. Jules Ferry, par accident, a dû rester d’abord au ministère de l’instruction publique, il a été bientôt écarté. D’élimination en élimination, M. Gambetta se trouverait par conséquent ramené dans ses choix à des hommes qui sont prêts à tout accepter de lui ou dont il accepterait lui-même les idées. Les comparses ne manquent pas pour compléter la combinaison. Quant au programme, il découlerait naturellement de l’ordre d’idées dans lequel M. Gambetta a conçu ses choix. Si c’est le dernier mot, l’expérience ne va pas laisser d’être décisive.

Voilà donc, pour commencer, la révision constitutionnelle mise plus que jamais à l’ordre du jour, les institutions ébranlées, livrées à l’ardeur des controverses passionnées, le sénat mis en doute, menacé d’être dépouillé de ses droits, de son autorité en attendant d’être plus ou moins sommairement supprimé. Non content de livrer la constitution elle-même aux passions de parti, M. Gambetta se propose, bien entendu, de poursuivre avec plus de violence que jamais la guerre religieuse, et s’il a M. Paul Bert comme collaborateur à l’instruction publique, on peut s’attendre à voir l’esprit de secte dans ce qu’il a de plus étroit, de plus vulgairement fanatique, tenter un violent effort sur l’enseignement national. Ce n’est pas tout : on ne se bornerait pas à toucher aux institutions, à l’enseignement, à l’église, à la magistrature, qui n’est pas naturellement oubliée, — il y a un autre projet qui ne tendrait à rien moins qu’à une révolution des plus graves dans l’ordre économique et financier. On se proposerait, entre autres choses, sans parler de l’exécution des grands travaux publics, d’entreprendre le rachat des chemins de fer, au risque de charger l’état de 10 milliards de dette, de créer une véritable perturbation