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que, l’erreur d’un seul mais irréparable moment exceptée, nous n’y avons rien trouvé que de généreux et de noble.

Le lecteur a deviné peut-être que l’amant de doña Blanca n’était autre que don Fadrique de Mendoza. C’est lui le vrai père de doña Clara. Autre cas de conscience encore : il veut sauver son enfant du mariage dont on la menace, et qui niera que ce soit un devoir pour lui ? Mais d’épargner l’honneur de la mère en même temps que l’affection de l’enfant pour cette mère, qui niera que c’en soit un autre ? Et de ne pas permettre que sa fille, à lui, soit l’héritière illégitime de la fortune des Roldan, n’accorderez-vous pas que c’en soit un troisième ? Ici encore est-ce entre le devoir et l’intérêt que le conflit s’élève, ou si c’est entre le devoir et le devoir ? Je ne pense pas qu’il y ait deux réponses. Don Fadrique s’avise, pour sortir d’embarras, d’un curieux expédient. Sa fortune par hasard est à peu près égale à la fortune des Roldan. S’il pouvait, de manière ou d’autre, la faire passer aux mains de don Casimiro, l’époux qu’on destine à l’enfant ? Si doña Blanca, de son côté, consentait à cette espèce de substitution d’expiation ? Si l’on pouvait enfin atteindre ce résultat sans compromettre l’honneur de la mère, sans troubler la sécurité du mari, sans effleurer le respect de l’enfant pour sa mère, enfin, — car il faut tout calculer, — sans effaroucher la fierté de don Casimiro ? C’est ce que don Fadrique essaie de faire. Mais il est évident que ce n’est pas là une solution. Car, si sa fortune lui permet, de tenter cette voie de conciliation, c’est hasard, c’est rencontre, c’est concours inattendu de circonstances particulières. La réparation que poursuit doña Blanca ne peut pas dépendre, en bonne et saine morale, du chiffre plus ou moins élevé de réaux que possède présentement son amant d’autrefois. Elle le fait entendre au père Jacinto, qui s’est chargé de la négociation ; elle le dit à don Fadrique lui-même, qui s’est introduit chez elle presque par surprise, et dans une fort belle scène, dont je détache les imprécations finales, qui jetteront une lueur plus vive sur ce cas psychologique si curieux et si bien déduit : « Il n’est pas de moyen de séduction, il n’est pas de mensonge ni de tromperie, lui dit-elle, en lui rappelant le passé, seigneur don Fadrique, il n’est pas de flatteries ou de douces paroles, de sermens de me donner toute votre âme, que vous n’ayez employés pour vaincre mes refus. Et j’en vins jusqu’à désirer de me perdre pour vous sauver. Oui, j’en vins à rêver qu’au prix de ma chute, gagnant votre âme, je l’enlèverais à l’impiété où elle était plongée. Et j’eus cette folle illusion de croire que, si je tombais avec vous dans le péché, je vous relèverais pour vous entraîner avec moi dans la purification et dans la pénitence… J’étais aveugle… Vous ne cherchiez que la satisfaction d’un caprice et vous ne vouliez de moi qu’un triomphe d’amour-propre… Vous aviez cru qu’une fois vainqueur de mes refus, j’oublierais tout pour vous… Vous vous imaginiez que j’allais tuer en moi tout remords,