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circonstances ont placée dans le cas de doña Blanca de Roldan ? Devra-t-elle après vingt ans déclarer elle-même sa faute à son mari ? Pourquoi ? dans l’intérêt de qui ? sous l’obligation de quel devoir ? Car enfin, ce sont des lois d’ordre public, et non pas le caprice individuel, qui règlent la transmission des héritages. Supposons que don Valentin de Roldan, ayant reçu les aveux de sa femme, veuille ôter sa fortune à doña Clara ; l’événement n’ira pas sans scandale. Il faudra qu’il réclame, en quelque sorte, la reconnaissance publique de son déshonneur ? Il faudra, d’autre part, que doña Clara perde le respect de sa mère ? Si c’est un devoir que d’expier sa faute, et si la confession de la faute est le commencement de l’expiation, est-ce un devoir aussi que de faire supporter à ce mari trop confiant l’extrême conséquence du crime ? en est-ce un encore que d’en faire peser la responsabilité sur l’enfant innocente ? en est-ce un enfin que de rompre, entre ce père qui croit être père et cette fille qui croit être sa fille, les liens que le temps, l’habitude, l’affection ont noués ? Et pas n’est question de dire : « Il fallait… » ou « il eût fallu… » Sans doute, il eût fallu ne pas commettre la faute, et il fallait, l’ayant commise, en provoquer soi-même le châtiment, ou se l’infliger ; mais ces maximes austères, qui sont belles dans les livres, ne sont bonnes aussi que dans le domaine de la spéculation métaphysique. En fait, quinze ou vingt ans sont passés depuis lors : les situations sont ce qu’elles sont : peu importe ce qu’elles auraient pu être, puisqu’elles ne le sont pas. Nous ne pouvons pas détacher de la chaîne de notre existence les jours que nous avons vécus. Chacun de nous, en chaque temps, est bien obligé d’accepter, de prendre, de subir la vie telle qu’il se l’est à lui-même arrangée. Ce n’est pas à vingt ans en arrière de l’heure qui sonne qu’on peut aller chercher les élémens de la résolution prochaine. Ce qui est fait est fait. Le tout est de suspendre ou de détourner les conséquences que l’on est encore à temps de détourner ou de suspendre. Et dans le cas que nous propose ici le romancier, je ne crois pas que celui-là fût un misérable sophiste, encore moins un corrupteur de la morale, qui trouverait le moyen, en ménageant, je ne dis pas les intérêts, je dis les droits de tous, de trancher les difficultés et de nous montrer où est le devoir.

On dira peut-être qu’après tout de telles situations sont rares ? Je vous demande pardon : mais elles sont très communes. Si vous voulez considérer d’un peu près ce que, dans le langage du monde, on appelle des situations fausses, vous verrez aisément que toutes, ou presque toutes, elles aboutissent tôt ou tard, à des conflits de ce genre. C’est même la définition d’une situation fausse : une situation où l’on se trouve presque à chaque instant sous la nécessité de transgresser ou de négliger un devoir pour en remplir un autre. Mais, après tout, qu’est-il besoin de supposer des situations fausses ? Vous ne voulez